Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/96

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Et il fit un geste qui indiquait que la source de tous ses malheurs lui était suffisamment indiquée.

— Oui, ajouta Pitou après un moment de réflexion, mais ce n’est pas une logique comme celle de mon vénérable abbé Fortier. Ce n’est point parce que j’ai rêvé d’un chat irrité que toutes ces aventures m’arrivent. Le songe n’a été donné à l’homme que comme avertissement.

C’est pour cela, continua Pitou, que je ne sais plus quel auteur a dit : « Tu as rêvé, prends garde, » cave, somniasti.

Somniasti, se demanda Pitou effarouché, ferais-je donc encore un barbarisme ? Eh ! non, je ne fais qu’une élision ; c’est somniavisti qu’il eût fallu dire en langue grammaticale.

C’est étonnant, continua Pitou en admiration devant lui-même, comme je sais le latin depuis que je ne l’apprends plus.

Et, sur cette glorification de lui-même, Pitou se remit en marche.

Pitou marcha d’un pas allongé, quoique plus tranquille. Ce pas pouvait donner deux lieues à l’heure.

Il en résultait que deux heures après s’être remis en route, Pitou avait dépassé Nanteuil, et s’acheminait vers Dammartin.

Tout à coup son oreille, exercée comme celle d’un Osage, lui transmit le bruit d’un fer de cheval sonnant sur le pavé.

— Oh ! oh ! fit Pitou, scandant le fameux vers de Virgile :

Quadrupedante putrem sonitu quatit ungula campum.

Et il regarda.

Mais il ne vit rien.

Étaient-ce les ânes qu’il avait laissés à Levignan et qui avaient pris le galop ? Non, car l’ongle de fer, comme dit le poëte, retentissait sur le pavé, et Pitou, à Haramont et même à Villers-Cotterets, n’avait connu que l’âne de la mère Sabot qui fût ferré, et encore parce que la mère Sabot faisait le service de la poste entre Villers-Cotterets et Crespy.

Il oublia donc momentanément le bruit qu’il avait entendu pour en revenir à ses réflexions.

Quels étaient ces hommes noirs qui l’avaient interrogé sur le docteur Gilbert, qui lui avaient lié les mains, qui l’avaient poursuivi, et qu’enfin il avait distancés ?

D’où venaient ces hommes noirs, parfaitement inconnus dans tout le canton ?

Qu’avaient-ils de particulier à régler avec Pitou, lui qui ne les avait jamais vu, et qui par conséquent ne les connaissait pas ?

Comment, ne les connaissant pas, le connaissaient-ils ? Pourquoi ma-