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vôtre, et alors, à la première trahison qu’il entreprendra, pour lui faire son procès.

Chicot rouvrit l’autre œil.

— Son procès ! François, son procès ! c’était bon pour Louis XI, qui était puissant et riche, de faire faire des procès et de faire dresser des échafauds. Mais moi, je n’ai pas même assez d’argent pour acheter tout le velours noir dont, en pareil cas, je pourrais avoir besoin.

En disant ces mots, Henri, qui, malgré sa puissance sur lui-même, s’était animé sourdement, laissa percer un regard dont le duc ne put soutenir l’éclat.

Chicot referma les deux yeux.

Il se fit un silence d’un instant entre les deux princes.

Le roi le rompit le premier.

— Il faut donc tout ménager, mon cher François, dit-il ; pas de guerres civiles, pas de querelles entre mes sujets. Je suis fils de Henri le batailleur et de Catherine la rusée ; j’ai un peu de l’astuce de ma bonne mère ; je vais faire rappeler le duc de Guise, et je lui ferai tant de belles promesses, que nous arrangerons votre affaire à l’amiable.

— Sire, s’écria le duc d’Anjou, vous m’accorderez le commandement, n’est-ce pas ?

— Je le crois bien.

— Vous tenez à ce que je l’aie ?

— Énormément.

— Vous le voulez, enfin ?

— C’est mon plus grand désir ; mais il ne faut pas cependant que cela déplaise trop à mon cousin de Guise.

— Eh bien ! soyez tranquille, dit le duc d’Anjou, si vous ne voyez à ma nomination que cet empêchement, je me charge, moi, d’arranger la chose avec le duc.

— Et quand cela ?

— Tout de suite.

— Vous allez donc aller le trouver ? vous allez donc aller lui rendre visite ? Oh ! mon frère, songez-y ; l’honneur est bien grand !

— Non pas, sire, je ne vais point le trouver.

— Comment cela ?

— Il m’attend.

— Où ?

— Chez moi.

— Chez vous ? j’ai entendu les cris qui ont salué sa sortie du Louvre.

— Oui, mais, après être sorti par la grande porte, il sera rentré par la poterne. Le roi avait droit à la première visite du duc de Guise ; mais j’ai droit, moi, à la seconde.

— Ah ! mon frère, dit Henri, que je vous sais gré de soutenir ainsi nos prérogatives, que j’ai la faiblesse d’abandonner quelquefois ! Allez donc, François, et accordez-vous.

Le duc prit la main de son frère et s’inclina pour la baiser.

— Que faites-vous, François ? dans mes bras, sur mon cœur, s’écria Henri, c’est là votre véritable place.

Et les deux frères se tinrent embrassés à plusieurs reprises ; puis, après une dernière étreinte, le duc d’Anjou, rendu à la liberté, sortit du cabinet, traversa rapidement les galeries, et courut à son appartement.

Il fallait que son cœur, comme celui du premier navigateur, fût cerclé de chêne et d’acier pour ne pas éclater de joie.

Le roi, voyant son frère parti, poussa un grincement de colère, et, s’élançant par le corridor secret qui conduisait à la chambre de Marguerite de Navarre, devenue celle du duc d’Anjou, il gagna une espèce de tambour d’où l’on pouvait entendre aussi facilement l’entretien qui allait avoir lieu entre les ducs d’Anjou et de Guise que Denis de sa cachette pouvait entendre la conversation de ses prisonniers.

— Ventre de biche ! dit Chicot en rouvrant les deux yeux à la fois et en s’asseyant sur son derrière, que c’est touchant les scènes de famille ! Je me suis cru un instant dans l’Olympe assistant à la réunion de Castor et Pollux, après leurs six mois de séparation.


CHAPITRE XXXIX.

COMMENT IL EST PROUVÉ QU’ÉCOUTER EST LE MEILLEUR MOYEN POUR ENTENDRE.


Le duc d’Anjou avait rejoint son hôte, le duc de Guise, dans cette chambre de la reine de Navarre, où autrefois le Béarnais et de Mouy avaient, à voix basse et la bouche contre l’oreille, arrêté leurs projets d’évasion ; c’est que le prudent Henri savait bien qu’il existait peu de chambres au Louvre qui ne fussent ménagées de manière à laisser arriver les paroles même dites à demi-voix à l’oreille de celui qui avait intérêt à les entendre. Le duc d’Anjou n’ignorait pas non plus ce détail si important ; mais, complètement séduit par la bonhomie de son frère, il l’oublia ou n’y attacha aucune importance.

Henri III, comme nous venons de le dire, entra dans son observatoire au moment où, de son côté, son frère entrait dans la chambre, de sorte qu’aucune des paroles des deux interlocuteurs n’échappa au roi.

— Eh bien ! monseigneur, demanda vivement le duc de Guise.

— Eh bien ! duc, la séance est levée.

— Vous étiez bien pâle, monseigneur.

— Visiblement ? demanda le duc avec inquiétude.

— Pour moi, oui, monseigneur !

— Le roi n’a rien vu ?

— Rien, du moins à ce que je crois, et Sa Majesté a retenu Votre Altesse ?

— Vous l’avez vu, duc.

— Sans doute pour lui parler de la proposition que j’étais venu lui faire ?

— Oui, monsieur.

Il y eut en ce moment un silence assez embarrassant dont Henri III, placé de manière à ne pas perdre une parole de leur entretien, comprit le sens.

— Et que dit Sa Majesté, monseigneur ? demanda le duc de Guise.

— Le roi approuve l’idée ; mais plus l’idée est gigantesque, plus un homme tel que vous, mis à la tête de cette idée, lui semble dangereux.

— Alors, nous sommes près d’échouer.

— J’en ai peur, mon cher duc, et la Ligue me paraît supprimée.

— Diable ! fit le duc, ce serait mourir avant de naître, finir avant d’avoir commencé.

— Ils ont autant d’esprit l’un que l’autre, dit une voix basse et mordante, retentissant à l’oreille de Henri penché sur son observatoire.

Henri se retourna vivement et vit le grand corps de Chicot, courbé pour écouter à son trou comme lui écoutait au sien.

— Tu m’as suivi, coquin ! s’écria le roi.

— Tais-toi, dis Chicot en faisant un geste de la main ; tais-toi, mon fils, tu m’empêches d’entendre.

Le roi haussa les épaules ; mais, comme Chicot était, à tout prendre, le seul être humain auquel il eût entière confiance, il se remit à écouter.

Le duc de Guise venait de reprendre la parole.

— Monseigneur, disait-il, il me semble que, dans ce cas, le roi eût tout de suite annoncé son refus ; il m’a fait assez mauvais accueil pour m’oser dire toute sa pensée. Veut-il m’évincer par hasard ?

— Je le crois, dit le prince avec hésitation.

— Il ruinerait l’entreprise alors ?

— Assurément, reprit le duc d’Anjou, et comme vous avez engagé l’action, j’ai dû vous seconder de toutes mes ressources, et je l’ai fait.

— En quoi, monseigneur ?

— En ceci : que le roi m’a laissé à peu près maître de vivifier ou de tuer à jamais la Ligue.

— Et comment cela ? dit le duc lorrain, dont le regard étincela malgré lui.

— Écoutez, cela est toujours soumis à l’approbation des