Page:Dumas - La Dame de Monsoreau, 1846.djvu/144

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

autre chose que des paroles, lui qui avait expérimenté plus d’une fois les retours à la vie après les pâmoisons et les évanouissements ?

Non seulement Diane en demeura là, mais encore elle s’arracha doucement des bras qui la tenaient captive et revint à son amie, qui, discrète d’abord, avait fait plusieurs pas sous les arbres ; puis, curieuse comme l’est toute femme de ce charmant spectacle d’une réconciliation entre gens qui s’aiment, était revenue tout doucement, non pas pour prendre sa part de la conversation, mais assez près des interlocuteurs pour n’en rien perdre.

— Eh bien ! demanda Bussy, est-ce donc ainsi que vous me recevez, madame ?

— Non, dit Diane ; car, en vérité, monsieur de Bussy, c’est tendre, c’est affectueux, ce que vous venez de faire là… Mais…

— Oh ! de grâce, pas de mais… soupira Bussy en reprenant sa place aux genoux de Diane.

— Non, non, pas ainsi, pas à genoux, monsieur de Bussy.

— Oh ! laissez-moi un instant vous prier comme je le fais, dit le comte en joignant les mains, j’ai si longtemps envié cette place.

— Oui ; mais pour la venir prendre, vous avez passé par-dessus le mur. Non seulement ce n’est pas convenable à un seigneur de votre rang, mais c’est bien imprudent pour quelqu’un qui aurait soin de mon honneur.

— Comment cela ?

— Si l’on vous avait vu, par hasard ?

— Qui donc m’aurait vu ?

— Mais nos chasseurs, qui, il y a un quart d’heure à peine, passaient dans le fourré, derrière le mur.

— Oh ! tranquillisez-vous, madame, je me cache avec trop de soin pour être vu.

— Caché ! Oh ! vraiment, dit Jeanne, c’est du suprême romanesque ; racontez-nous cela, monsieur de Bussy.

— D’abord, si je ne vous ai pas rejointe en route, ce n’est pas ma faute ; j’ai pris un chemin et vous l’autre. Vous êtes venue par Rambouillet, moi, par Chartres. Puis, écoutez, et jugez si votre pauvre Bussy est amoureux ; je n’ai point osé vous rejoindre, et je ne doutais pas cependant que je ne le pusse. Je sentais bien que Jarnac n’était point amoureux, et que le digne animal ne s’exalterait que médiocrement à revenir à Méridor ; votre père aussi n’avait aucun motif de se hâter, puisqu’il vous avait près de lui. Mais ce n’était pas en présence de votre père, ce n’était pas dans la compagnie de vos gens, que je voulais vous revoir ; car j’ai plus souci que vous ne le croyez de vous compromettre ; j’ai fait le chemin étape par étape, en mangeant le manche de ma houssine ; le manche de ma houssine fût ma plus habituelle nourriture pendant ces jours.

— Pauvre garçon ! dit Jeanne ; aussi, vois comme il est maigri.

— Vous arrivâtes enfin, continua Bussy ; j’avais pris logement au faubourg de la ville ; je vous vis passer, caché derrière une jalousie.

— Oh ! mon Dieu, demanda Diane, êtes-vous donc à Angers sous votre nom ?

— Pour qui me prenez-vous ? dit en souriant Bussy ; non pas, je suis un marchand qui voyage ; voyez mon costume couleur cannelle ; il ne me trahit pas trop, c’est une couleur qui se porte beaucoup parmi les drapiers et les orfèvres, et, puis encore, j’ai un certain air inquiet et affairé qui ne messied pas à un botaniste qui cherche des simples. Bref, on ne m’a pas encore remarqué.

— Bussy, le beau Bussy, deux jours de suite dans une ville de province, sans avoir encore été remarqué ? On ne croira jamais cela à la cour.

— Continuez, comte, dit Diane en rougissant. Comment venez-vous de la ville ici, par exemple ?

— J’ai deux chevaux d’une race choisie ; je monte l’un d’eux, je sors au pas de la ville, m’arrêtant à regarder les écriteaux et les enseignes, mais quand une fois je suis loin des regards, mon cheval prend un galop qui lui permet de franchir en vingt minutes les trois lieues et demie qu’il y a d’ici à la ville. Une fois dans le bois de Méridor, je m’oriente et je trouve le mur du parc ; mais il est long, fort long, le parc est grand. Hier j’ai exploré ce mur pendant plus de quatre heures, grimpant çà et là, espérant vous apercevoir toujours. Enfin, je désespérais presque, quand je vous ai aperçue le soir, au moment où vous rentriez à la maison ; les deux grands chiens du baron sautaient après vous, et madame de Saint-Luc leur tenait en l’air un perdreau qu’ils essayaient d’atteindre ; puis vous disparûtes.

Je sautai là ; j’accourus ici, où vous étiez tout à l’heure ; je vis l’herbe et la mousse assidûment foulées, j’en conclus que vous pourriez bien avoir adopté cet endroit, qui est charmant pendant le soleil ; pour me reconnaître alors, j’ai fait des brisées comme à la chasse ; et, tout en soupirant, ce qui me fait un mal affreux…

— Par défaut d’habitude, interrompit Jeanne en souriant.

— Je ne dis pas non, madame ; en soupirant donc, ce qui me fait un mal affreux, je le répète, j’ai repris la route de la ville ; j’étais bien fatigué ; j’avais en outre déchiré mon pourpoint cannelle en montant aux arbres, et, cependant, malgré les accrocs de mon pourpoint, malgré l’oppression de ma poitrine, j’avais la joie au cœur : je vous avais vue.

— Il me semble que voilà un admirable récit, dit Jeanne, et que vous avez surmonté là de terribles obstacles : c’est beau et c’est héroïque ; mais moi, qui crains de monter aux arbres, j’aurais, à votre place, conservé mon pourpoint et surtout ménagé mes belles mains blanches. Voyez dans quel affreux état sont les vôtres, tout égratignées par les ronces.

— Oui. Mais je n’aurais pas vu celle que je venais voir.

— Au contraire ; j’aurais vu, et beaucoup mieux que vous ne l’aviez fait, Diane de Méridor, et même madame de Saint-Luc.

— Qu’eussiez-vous donc fait ? demanda Bussy avec empressement.

— Je fusse venu droit au pont du château de Méridor, et j’y fusse entré. M. le baron me serrait dans ses bras, madame de Monsoreau me plaçait près d’elle à table, M. de Saint-Luc me comblait de caresse, madame de Saint-Luc faisait avec moi des anagrammes. C’était la chose du monde la plus simple : il est vrai que la chose du monde la plus simple est celle dont les amoureux ne s’avisent jamais.

Bussy secoua la tête avec un sourire et un regard à l’adresse de Diane.

— Oh ! non ! dit-il, non. Ce que vous eussiez fait là, c’était bon pour tout le monde, et non pour moi.

Diane rougit comme un enfant, et le même sourire et le même regard se reflétèrent dans ses yeux et sur ses lèvres.

— Allons ! dit Jeanne, voilà, à ce qu’il paraît, que je ne comprends plus rien aux belles manières !

— Non ! dit Bussy en secouant la tête. Non ! je ne pouvais aller au château. Madame est mariée, M. le baron doit au mari de sa fille, quel qu’il soit, une surveillance sévère.

— Bien, dit Jeanne, voilà une leçon de civilité que je reçois ; merci, monsieur de Bussy, car je mérite de la recevoir ; cela m’apprendra à me mêler aux propos des fous.

— Des fous ? répéta Diane.

— Des fous ou des amoureux, répondit madame de Saint-Luc, et en conséquence…

Elle embrassa Diane au front, fit une révérence à Bussy et s’enfuit.

Diane la voulut retenir d’une main, mais Bussy saisit l’autre, et il fallut bien que Diane, si bien retenue par son amant, se décidât à lâcher son amie.

Bussy et Diane restèrent donc seuls.

Diane regarda madame de Saint-Luc, qui s’éloignait en cueillant des fleurs, puis elle s’assit en rougissant.

Bussy se coucha à ses pieds.

— N’est-ce pas, dit-il, que j’ai bien fait, madame, que vous m’approuvez ?

— Je ne vais pas feindre, répondit Diane, et, d’ailleurs, vous savez le fond de ma pensée, oui, je vous approuve, mais ici s’arrêtera mon indulgence ; en vous désirant, en vous appelant comme je faisais tout à l’heure, j’étais insensée, j’étais coupable.