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bruit de la bataille, ce sont, au contraire, les amis d’Anjou qui nous écharpent.

— Bas les armes ! cria le duc ; bas les armes, marauds, ce sont des amis.

— Des amis ! s’écrièrent les bourgeois contusionnés, écorchés, rendus. Des amis ! il fallait donc leur donner le mot d’ordre alors ; depuis une bonne heure, nous les traitons comme des païens, et ils nous traitent comme des Turcs.

Et le mouvement rétrograde acheva de se faire.

Livarot, Antraguet et Ribérac s’avancèrent en triomphateurs dans l’espace laissé libre par la retraite des bourgeois, et tous s’empressèrent d’aller baiser la main de Son Altesse ; après quoi, chacun, à son tour, se jeta dans les bras de Bussy.

— Il paraît, dit philosophiquement le capitaine, que c’est une volée d’Angevins que nous prenions pour un vol de vautours.

— Monseigneur, glissa Bussy à l’oreille du duc, comptez vos miliciens, je vous prie.

— Pour quoi faire ?

— Comptez toujours, à peu près, en gros ; je ne dis pas un à un.

— Ils sont au moins cent cinquante.

— Au moins, oui.

— Eh bien ! que veux-tu dire ?

— Je veux dire que vous n’avez point là de fameux soldats, puisque trois hommes les ont battus.

— C’est vrai, dit le duc. Après ?

— Après ! sortez donc de la ville avec des gaillards comme ceux-là !

— Oui, dit le duc ; mais j’en sortirai avec les trois hommes qui ont battu les autres, répliqua le duc.

— Ouais ! fit tout bas Bussy, je n’avais pas songé à celle-là. Vivent les poltrons pour être logiques !


CHAPITRE LIX.

ROLAND.


Grâce au renfort qui lui était arrivé, M. le duc d’Anjou put se livrer à des reconnaissances sans fin autour de la place.

Accompagné de ses amis, arrivés d’une façon si opportune, il marchait dans un équipage de guerre dont les bourgeois d’Angers se montraient on ne peut plus orgueilleux, bien que la comparaison de ces gentilshommes bien montés, bien équipés, avec les harnais déchirés et les armures rouillées de la milice urbaine, ne fût pas précisément à l’avantage de cette dernière.

On explora d’abord les remparts, puis les jardins attenants aux remparts, puis la campagne attenante aux jardins, puis enfin les châteaux épars dans cette campagne, et ce n’était point sans un sentiment d’arrogance très marquée que le duc narguait, en passant, soit près d’eux, soit au milieu d’eux, les bois qui lui avaient fait si grande peur, ou plutôt dont Bussy lui avait fait si grande peur.

Les gentilshommes angevins arrivaient avec de l’argent, ils trouvaient à la cour du duc d’Anjou une liberté qu’ils étaient loin de rencontrer à la cour de Henri III ; ils ne pouvaient donc manquer de faire joyeuse vie dans une ville toute disposée, comme doit l’être une capitale quelconque, à piller la bourse de ses hôtes.

Trois jours ne s’étaient point encore écoulés, qu’Antraguet, Ribérac et Livarot avaient lié des relations avec les nobles angevins les plus épris des modes et des façons parisiennes. Il va sans dire que ces dignes seigneurs étaient mariés et avaient de jeunes et jolies femmes.

Aussi n’était-ce pas pour son plaisir particulier, comme pourraient le croire ceux qui connaissent l’égoïsme du duc d’Anjou, qu’il faisait de si belles cavalcades dans la ville. Non. Ces promenades tournaient au plaisir des gentilshommes parisiens, qui étaient venus le rejoindre, des seigneurs angevins, et surtout des dames angevines.

Dieu d’abord devait s’en réjouir, puisque la cause de la Ligue était la cause de Dieu.

Puis le roi devait incontestablement en enrager.

Enfin les dames en étaient heureuses.

Ainsi, la grande Trinité de l’époque était représentée : Dieu, le roi et les dames.

La joie fut à son comble le jour où l’on vit arriver, en superbe ordonnance, vingt-deux chevaux de main, trente chevaux de trait, enfin, quarante mulets, qui, avec les litières, les chariots et les fourgons, formaient les équipages de M. le duc d’Anjou.

Tout cela venait, comme par enchantement, de Tours, pour la modique somme de cinquante mille écus, que M. le duc d’Anjou avait consacrée à cet usage.

Il faut dire que ces chevaux étaient sellés, mais que les selles étaient dues aux selliers ; il faut dire que les coffres avaient de magnifiques serrures, fermant à clef, mais que les coffres étaient vides ; il faut dire que ce dernier article était tout à la louange du prince, puisque le prince aurait pu les remplir par des exactions.

Mais ce n’était pas dans la nature du prince de prendre ; il aimait mieux soustraire.

Néanmoins l’entrée de ce cortège produisit un magnifique effet dans Angers.

Les chevaux entrèrent dans les écuries, les chariots furent rangés sous les remises. Les coffres furent portés par les familiers les plus intimes du prince. Il fallait des mains bien sûres pour qu’on osât leur confier les sommes qu’ils ne contenaient pas.

Enfin on ferma les portes du palais au nez d’une foule empressée qui fut convaincue, grâce à cette mesure de prévoyance, que le prince venait de faire entrer deux millions dans la ville, tandis qu’il ne s’agissait, au contraire, que de faire sortir de la ville une somme à peu près pareille, sur laquelle comptaient les coffres vides.

La réputation d’opulence de M. le duc d’Anjou fut solidement établie à partir de ce jour-là ; et toute la province demeura convaincue, d’après le spectacle qui avait passé sous ses yeux, qu’il était assez riche pour guerroyer contre l’Europe entière si besoin était.

Cette confiance devait aider les bourgeois à prendre en patience les nouvelles tailles que le duc, aidé des conseils de ses amis, était dans l’intention de lever sur les Angevins. D’ailleurs, les Angevins allaient presque au-devant des désirs du duc d’Anjou.

On ne regrette jamais l’argent que l’on prête ou que l’on donne aux riches.

Le roi de Navarre, avec sa renommée de misère, n’aurait pas obtenu le quart du succès qu’obtenait le duc d’Anjou avec sa renommée d’opulence.

Mais revenons au duc.

Le digne prince vivait en patriarche, regorgeant de tous les biens de la terre, et, chacun le sait, l’Anjou est une bonne terre.

Les routes étaient couvertes de cavaliers accourant vers Angers pour faire au prince leurs soumissions ou leurs offres de services.

De son côté, M. d’Anjou poussait des reconnaissances aboutissant toujours à la recherche de quelque trésor.

Bussy était arrivé à ce qu’aucune de ces reconnaissances n’eût été poussée jusqu’au château qu’habitait Diane.

C’est que Bussy se réservait ce trésor-là pour lui seul, pillant à sa manière ce petit coin de la province, qui, après s’être défendu de façon convenable, s’était enfin livré à discrétion.

Or, tandis que M. d’Anjou reconnaissait et que Bussy pillait, M. de Monsoreau, monté sur son cheval de chasse, arrivait aux portes d’Anjou.

Il pouvait être quatre heures du soir ; pour arriver à quatre heures, M. de Monsoreau avait fait dix-huit lieues dans la journée. Aussi, ses éperons étaient rouges ; et son cheval, blanc d’écume, était à moitié mort.

Le temps était passé de faire aux portes de la ville des difficultés à ceux qui arrivaient : on était si fier, si dédai-