Page:Dumas - La Dame de Monsoreau, 1846.djvu/188

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pardonne-t-elle ? À quand la noce ? À quand le baptême ?

— Eh ! cher ami, attendez donc que le Monsoreau soit mort.

— Plaît-il ? fit Saint-Luc en bondissant comme s’il eût marché sur un clou aigu.

— Eh ! cher ami, les coquelicots ne sont pas une plante si dangereuse que vous l’aviez cru d’abord, et il n’est point du tout mort pour être tombé dessus ; tout au contraire, il vit, et il est plus furieux que jamais.

— Bah ! vraiment.

— Oh ! mon Dieu, oui ! il ne respire que vengeance, et il a juré de vous tuer à la première occasion. C’est comme cela.

— Il vit ?

— Hélas ! oui.

— Et quel est donc l’âne bâté de médecin qui l’a soigné ?

— Le mien, cher ami.

— Comment ! je n’en reviens pas, reprit Saint-Luc, écrasé par cette révélation. Ah ça, mais je suis déshonoré alors ; vertubleu, moi qui ai annoncé sa mort à tout le monde, il va trouver ses héritiers en deuil ; oh ! mais je n’en aurai pas le démenti, je le rattraperai, et, à la prochaine rencontre, au lieu d’un coup d’épée, je lui en donnerai quatre, s’il le faut.

— À votre tour, calmez-vous, cher Saint-Luc, dit Bussy. En vérité, Monsoreau me sert mieux que vous ne pensez. Figurez-vous que c’est le duc qu’il soupçonne de vous avoir dépêché contre lui ; c’est du duc qu’il est jaloux. — Moi, je suis un ange, un ami précieux, un Bayard ; je suis son cher Bussy, enfin. C’est tout naturel, c’est cet animal de Remy qui l’a tiré d’affaire.

— Quelle sotte idée il a eue là !

— Que voulez-vous ? une idée d’honnête homme ; il se figure que parce qu’il est médecin, il doit guérir les gens.

— Mais c’est un visionnaire que ce gaillard-là.

— Bref, c’est à moi qu’il se prétend redevable de la vie ; c’est à moi qu’il confie sa femme.

— Ah ! je comprends que ce procédé vous fasse attendre plus tranquillement sa mort, mais il n’en est pas moins vrai que j’en suis tout émerveillé.

— Cher ami !

— D’honneur ! je tombe des nues.

— Vous voyez qu’il ne s’agit pas pour le moment de M. de Monsoreau.

— Non ! jouissons de la vie pendant qu’il est encore sur le flanc. Mais, pour le moment de sa convalescence, je vous préviens que je me commande une cotte de mailles et que je fais doubler mes volets en fer. Vous, informez-vous donc auprès du duc d’Anjou si sa bonne mère ne lui aurait pas donné quelque recette de contre-poison. En attendant, amusons-nous, très cher, amusons-nous !

Bussy ne put s’empêcher de sourire. Il passa son bras sous celui de Saint-Luc.

— Ainsi, dit-il, mon cher Saint-Luc, vous voyez que vous ne m’avez rendu qu’une moitié de service.

Saint-Luc le regarda d’un air étonné.

— C’est vrai, dit-il ; voudriez-vous donc que je l’achevasse ? ce serait dur ; mais enfin, pour vous, mon cher Bussy, je suis prêt à faire bien des choses, surtout s’il me regarde avec cet œil jaune, pouah !

— Non, très cher, non, je vous l’ai déjà dit, laissons là le Monsoreau, et si vous redevez quelque chose, rapportez ce quelque chose à un autre emploi.

— Voyons, dites, je vous écoute.

— Êtes-vous très bien avec ces messieurs de la mignonnerie ?

— Ma foi, poil à poil, comme chats et chiens au soleil ; tant que le rayon nous échauffe tous, nous ne nous disons rien : si l’un de nous seulement prenait la part de lumière et de chaleur des autres, oh ! alors, je ne réponds plus de rien : griffes et dents joueraient leur jeu.

— Eh bien, mon ami, ce que vous me dites là me charme.

— Ah ! tant mieux.

— Admettons que le rayon soit intercepté.

— Admettons, soit.

— Alors, montrez-moi vos belles dents blanches, allongez vos formidable griffes, et ouvrons la partie.

— Je ne vous comprends pas.

Bussy sourit.

— Vous allez, s’il vous plaît, cher ami, aborder M. de Quélus.

— Ah ! ah ! fit Saint-Luc.

— Vous commencez à comprendre, n’est-ce pas ?

— Oui.

— À merveille. Vous lui demanderez quel jour il lui plairait de me couper la gorge ou de se la faire couper par moi.

— Je le lui demanderai, cher ami.

— Cela ne vous fâche point ?

— Moi, pas le moins du monde. J’irai quand vous voudrez, tout de suite, si cela peut vous être agréable.

— Un moment. En allant chez M. de Quélus, vous me ferez, par la même occasion, le plaisir de passer chez M. de Schomberg, à qui vous ferez la même proposition, n’est-ce pas ?

— Ah ! ah ! dit Saint-Luc, à M. de Schomberg aussi. Diable ! comme vous y allez, Bussy !

Bussy fit un geste qui n’admettait pas de réplique.

— Soit, dit Saint-Luc ; votre volonté sera faite.

— Alors, mon cher Saint-Luc, reprit Bussy, puisque je vous trouve si aimable, vous entrerez au Louvre chez M. de Maugiron à qui j’ai vu le hausse-col, signe qu’il est de garde ; vous l’engagerez à se joindre aux autres, n’est-ce pas ?

— Oh ! oh ! fit Saint-Luc, trois ; y songez-vous, Bussy ? Est-ce tout, au moins ?

— Non pas.

— Comment ? non pas.

— De là, vous vous rendrez chez M. d’Épernon. Je ne vous arrête pas longtemps sur lui, car je le tiens pour un assez pauvre compagnon ; mais enfin il fera nombre.

Saint-Luc laissa tomber ses deux bras de chaque côté de son corps et regarda Bussy.

— Quatre ? murmura-t-il.

— C’est cela même, cher ami, dit Bussy en faisant de la tête un signe d’assentiment ; quatre. Il va sans dire que je ne recommanderai pas à un homme de votre esprit, de votre bravoure et de votre courtoisie, de procéder vis-à-vis de ces messieurs avec toute la douceur, toute la politesse que vous possédez à un si suprême degré…

— Oh ! cher ami.

— Je m’en rapporte à vous pour faire cela… galamment. Que la chose soit accommodée de façon seigneuriale, n’est-ce pas ?

— Vous serez content, mon ami.

Bussy tendit en souriant la main à Saint-Luc.

— À la bonne heure, dit-il. Ah ! messieurs les mignons, nous allons donc rire à notre tour.

— Maintenant, cher ami, les conditions.

— Quelles conditions ?

— Les vôtres.

— Moi, je n’en fais pas ; j’accepterai celles de ces messieurs.

— Vos armes ?

— Les armes de ces messieurs.

— Le jour, le lieu et l’heure ?

— Le jour, le lieu et l’heure de ces messieurs.

— Mais enfin…

— Ne parlons pas de ces misères-là ; faites et faites vite, cher ami. Je me promène là-bas dans le petit jardin du Louvre ; vous m’y retrouverez, la commission faite.

— Alors, vous attendez ?

— Oui.

— Attendez donc. Dame ! ce sera peut-être un peu long.

— J’ai le temps.

Nous savons maintenant comment Saint-Luc trouva les quatre jeunes gens encore réunis dans la salle d’audience, et comment il entama l’entretien. Rejoignons-le donc dans l’antichambre de l’hôtel de Schomberg, où nous l’avons laissé, attendant cérémonieusement, et selon toutes les lois