Page:Dumas - La Dame de Monsoreau, 1846.djvu/195

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

y en avait dix : ce fut l’affaire de cinq enjambées, c’est-à-dire de cinq secondes.

Ce moment avait été heureusement choisi, car tandis que Bussy montait par la fenêtre, M. de Monsoreau, après avoir écouté patiemment pendant plus de dix minutes à la porte de sa femme, descendait péniblement l’escalier, appuyé sur le bras d’un valet de confiance, lequel remplaçait Remy avec avantage, toutes les fois qu’il ne s’agissait ni d’appareils ni de topiques.

Cette double manœuvre, qu’on eût dite combinée par un habile stratégiste, s’exécuta de cette façon, que Monsoreau ouvrait la porte de la rue juste au moment où Bussy retirait son échelle et où Diane fermait sa fenêtre.

Monsoreau se trouva dans la rue ; mais, nous l’avons dit, la rue était déserte, et le comte ne vit rien.

— Aurais-tu été mal renseigné ? demanda Monsoreau à son domestique.

— Non, monseigneur, répondit celui-ci. Je quitte l’hôtel d’Anjou, et le maître-palefrenier, qui est de mes amis, m’a dit positivement que monseigneur avait commandé deux chevaux pour ce soir. Maintenant, monseigneur, peut-être était-ce pour aller tout autre part qu’ici.

— Où veux-tu qu’il aille ? dit Monsoreau d’un air sombre.

Le comte était comme tous les jaloux, qui ne croient pas que le reste de l’humanité puisse être préoccupée d’autre chose que de les tourmenter.

Il regarda autour de lui une seconde fois.

— Peut-être eussé-je mieux fait de rester dans la chambre de Diane, murmura-t-il. Mais peut-être ont-ils des signaux pour correspondre ; elle l’eût prévenu de ma présence, et je n’eusse rien su. Mieux vaut encore guetter du dehors, comme nous en sommes convenus. Voyons, conduis-moi à cette cachette de laquelle tu prétends que l’on peut tout voir.

— Venez, monseigneur, dit le valet.

Monsoreau s’avança moitié s’appuyant au bras de son domestique, moitié se soutenant au mur.

En effet, à vingt ou vingt-cinq pas de la porte, du côté de la Bastille, se trouvait un énorme tas de pierre provenant de maisons démolies et servant de fortifications aux enfants du quartier lorsqu’ils simulaient les combats, restes populaires des Armagnacs et des Bourguignons.

Au milieu de ce tas de pierres le valet avait pratiqué une espèce de guérite qui pouvait facilement contenir et cacher deux personnes.

Il étendit un manteau sur ces pierres, et Monsoreau s’accroupit dessus.

Le valet se plaça aux pieds du comte.

Un mousqueton tout chargé était posé à tout événement à côté d’eux.

Le valet voulut apprêter la mèche de l’arme ; mais Monsoreau l’arrêta.

— Un instant, dit-il, il sera toujours temps. C’est gibier royal que celui que nous éventons, et il y a peine de la hart pour quiconque porte la main sur lui.

Et ses yeux, ardents comme ceux d’un loup embusqué dans le voisinage d’une bergerie, se portaient des fenêtres de Diane dans les profondeurs du faubourg, et des profondeurs du faubourg dans les rues adjacentes, car il désirait surprendre et craignait d’être surpris.

Diane avait prudemment fermé ses épais rideaux de tapisserie, en sorte qu’à leur bordure seulement filtrait un rayon lumineux, qui dénonçait la vie, dans cette maison absolument noire.

Monsoreau n’était pas embusqué depuis dix minutes que deux chevaux parurent à l’embouchure de la rue Saint-Antoine.

Le valet ne parla point ; mais il étendit la main dans la direction des deux chevaux.

— Oui, dit Monsoreau, je vois.

Les deux cavaliers mirent pied à terre à l’angle de l’hôtel des Tournelles, et ils attachèrent leurs chevaux aux anneaux de fer disposés dans la muraille à cet effet.

— Monseigneur, dit Aurilly, je crois que nous arrivons trop tard ; il sera parti directement de votre hôtel ; il avait dix minutes d’avance sur vous, il est entré.

— Soit, dit le prince ; mais, si nous ne l’avons pas vu entrer nous le verrons sortir.

— Oui, mais quand ! dit Aurilly.

— Quand nous voudrons, dit le prince.

— Serait-ce trop de curiosité que de vous demander comment vous comptez vous y prendre, monseigneur ?

— Rien de plus facile. Nous n’avons qu’à heurter à la porte, l’un de nous, c’est-à-dire toi, par exemple, sous prétexte que tu viens demander des nouvelles de M. de Monsoreau. Tout amoureux s’effraie au bruit. Alors toi entré dans la maison, lui sort par la fenêtre, et moi, qui serai resté dehors, je le verrai déguerpir.

— Et le Monsoreau ?

— Que diable veux-tu qu’il dise ? C’est mon ami, je suis inquiet, je fais demander de ses nouvelles, parce que je lui ai trouvé mauvaise mine dans la journée ; rien de plus simple.

— C’est on ne peut plus ingénieux, monseigneur, dit Aurilly.

— Entends-tu ce qu’ils disent ? demanda Monsoreau à son valet.

— Non, monseigneur ; mais s’ils continuent de parler, nous ne pouvons manquer de les entendre, puisqu’ils viennent de ce côté.

— Monseigneur, dit Aurilly, voici un tas de pierres qui semble fait exprès pour cacher Votre Altesse.

— Oui ; mais attends, peut-être y a-t-il moyen de voir à travers les fentes des rideaux.

En effet, comme nous l’avons dit, Diane avait rallumé ou rapproché la lampe, et une légère lueur filtrait du dedans au dehors.

Le duc et Aurilly tournèrent et retournèrent pendant plus de dix minutes, afin de chercher un point d’où leurs regards pussent pénétrer dans l’intérieur de la chambre.

Pendant ces différentes évolutions, Monsoreau bouillait d’impatience et arrêtait souvent sa main sur le canon du mousquet, moins froid que cette main.

— Oh ! souffrirai-je cela ? murmura-t-il ; dévorerai-je encore cet affront ? Non, non : tant pis, ma patience est à bout. Mordieu ! ne pouvoir ni dormir, ni veiller, ni même souffrir tranquille, parce qu’un caprice honteux s’est logé dans le cerveau oisif de ce misérable prince ! Non, je ne suis pas un valet complaisant ; je suis le comte de Monsoreau ; et qu’il vienne de ce côté, je lui fais, sur mon honneur, sauter la cervelle. Allume la mèche, René, allume…

En ce moment, justement le prince, voyant qu’il était impossible à ses regards de pénétrer à travers l’obstacle, en était revenu à son projet, et s’apprêtait à se cacher dans les décombres, tandis qu’Aurilly allait frapper à la porte, quand tout à coup, oubliant la distance qu’il y avait entre lui et le prince, Aurilly posa vivement sa main sur le bras du duc d’Anjou.

— Eh bien, monsieur, dit le prince étonné, qu’y a-t-il ?

— Venez, monseigneur, venez, dit Aurilly.

— Mais pourquoi cela ?

— Ne voyez-vous rien briller à gauche ? Venez, monseigneur, venez.

— En effet, je vois comme une étincelle au milieu de ces pierres.

— C’est la mèche d’un mousquet ou d’une arquebuse, monseigneur.

— Ah ! ah ! fit le duc, et qui diable peut être embusqué là ?

— Quelque ami ou quelque serviteur de Bussy. Éloignons-nous, faisons un détour, et revenons d’un autre côté. Le serviteur donnera l’alarme, et nous verrons Bussy descendre par la fenêtre.

— En effet, tu as raison, dit le duc ; viens.

Tous deux traversèrent la rue pour regagner la place où ils avaient attaché leurs chevaux.

— Ils s’en vont, dit le valet.

— Oui, dit Monsoreau. Les as-tu reconnus ?