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— Un autre homme est venu le rejoindre, tenant une lanterne à la main.

— Ah ! ah ! fit Bussy.

— Alors l’homme au manteau… continua le prince.

— Le premier avait un manteau ? interrompit Bussy.

— Oui. Alors l’homme au manteau et l’homme à la lanterne se sont mis à causer ensemble, et, comme ils ne paraissaient pas disposés à quitter leur poste de la nuit, je leur ai laissé la place et je suis revenu.

— Dégoûté de cette double épreuve ?

— Ma foi oui, je l’avoue… De sorte qu’avant de me fourrer dans cette maison, qui pourrait bien être quelque égorgeoir…

— Vous ne seriez pas fâché qu’on y égorgeât un de vos amis.

— Ou plutôt que cet ami, n’étant pas prince, n’ayant pas les ennemis que j’ai, et d’ailleurs habitué à ces sortes d’aventures, étudiât la réalité du péril que je puis courir, et m’en vînt rendre compte.

— À votre place, monseigneur, dit Bussy, j’abandonnerais cette femme.

— Non pas.

— Pourquoi ?

— Elle est trop belle.

— Vous dites vous-même qu’à peine vous l’avez vue.

— Je l’ai vue assez pour avoir remarqué d’admirables cheveux blonds.

— Ah !

— Des yeux magnifiques.

— Ah ! ah !

— Un teint comme je n’en ai jamais vu, une taille merveilleuse.

— Ah ! ah ! ah !

— Tu comprends qu’on ne renonce pas facilement à une pareille femme.

— Oui, monseigneur, je comprends ; aussi la situation me touche.

Le duc regarda Bussy de côté.

— Parole d’honneur, dit Bussy.

— Tu railles.

— Non, et la preuve, c’est que, si monseigneur veut me donner ses instructions et m’indiquer le logis, je veillerai ce soir.

— Tu reviens donc sur ta décision ?

— Eh ! monseigneur, il n’y a que notre saint-père Grégoire XIII qui ne soit pas faillible ; seulement dites-moi ce qu’il y aura à faire.

— Il y aura à te cacher à distance de la porte que je t’indiquerai, et, si un homme entre, à le suivre, pour t’assurer qui il est.

— Oui ; mais si, en entrant, il referme la porte derrière lui ?

— Je t’ai dit que j’avais une clef.

— Ah ! c’est vrai ; il n’y a plus qu’une chose à craindre, c’est que je suive un autre homme, et que la clef n’aille à une autre porte.

— Il n’y a pas à s’y tromper ; cette porte est une porte d’allée ; au bout de l’allée à gauche, il y a un escalier ; tu montes douze marches et tu te trouves dans le corridor.

— Comment savez-vous cela, monseigneur, puisque vous n’avez jamais été dans la maison ?

— Ne t’ai-je point dit que j’avais pour moi la suivante ? Elle m’a tout expliqué.

— Tudieu ! que c’est commode d’être prince, on vous sert votre besogne toute faite. Moi, monseigneur, il m’eût fallu reconnaître la maison moi-même, explorer l’allée, compter les marches, sonder le corridor. Cela m’eût pris un temps énorme, et qui sait encore si j’eusse réussi ?

— Ainsi donc tu consens ?

— Est-ce que je sais refuser quelque chose à Votre Altesse ? Seulement vous viendrez avec moi pour m’indiquer la porte.

— Inutile ; en rentrant de la chasse, nous faisons un détour ; nous passons par la porte Saint-Antoine, et je te la fais voir.

— À merveille, monseigneur, et que faudra-t-il faire à l’homme, s’il vient ?

— Rien autre chose que de le suivre jusqu’à ce que tu aies appris qui il est.

— C’est délicat ; si, par exemple, cet homme pousse la discrétion jusqu’à s’arrêter au milieu du chemin et à couper court à mes investigations ?

— Je te laisse le soin de pousser l’aventure du côté qu’il te plaira.

— Alors, Votre Altesse m’autorise à faire comme pour moi.

— Tout à fait.

— Ainsi ferai-je, monseigneur.

— Pas un mot à tous nos jeunes seigneurs.

— Foi de gentilhomme !

— Personne avec toi dans cette exploration !

— Seul, je vous le jure.

— Eh bien, c’est convenu, nous revenons par la Bastille. Je te montre la porte… tu viens chez moi… je te donne la clef… et ce soir…

— Je remplace monseigneur ; voilà qui est dit.

Bussy et le prince revinrent joindre alors la chasse, que M. de Monsoreau conduisait en homme de génie. Le roi fut charmé de la manière précise dont le chasseur consommé avait fixé toutes les haltes et disposé tous les relais. Après avoir été chassé deux heures, après avoir été tourné dans une enceinte de quatre ou cinq lieues, après avoir été vu vingt fois, l’animal revint se faire prendre juste à son lancer.

M. de Monsoreau reçut les félicitations du roi et du duc d’Anjou.

— Monseigneur, dit-il, je me trouve trop heureux d’avoir pu mériter vos compliments, puisque c’est à vous que je dois la place.

— Mais vous savez, monsieur, dit le duc, que pour continuer à les mériter, il faut que vous partiez ce soir pour Fontainebleau ; le roi veut y chasser après demain et les jours suivants, et ce n’est pas trop d’un jour pour prendre connaissance de la forêt.

— Je le sais, monseigneur, répondit Monsoreau, et mon équipage est déjà préparé. Je partirai cette nuit.

— Ah ! voila ! monsieur de Monsoreau, dit Bussy ; désormais plus de repos pour vous. Vous avez voulu être grand-veneur, vous l’êtes ; il y a, dans la charge que vous occupez, cinquante bonnes nuits de moins que pour les autres hommes ; heureusement encore que vous n’êtes point marié, mon cher monsieur.

Bussy riait en disant cela : le duc laissa errer un regard perçant sur le grand-veneur ; puis tournant la tête d’un autre côté, il alla faire ses compliments au roi sur l’amélioration qui depuis la veille paraissait s’être fait en sa santé.

Quant à Monsoreau, il avait, à la plaisanterie de Bussy, encore une fois pâli de cette pâleur hideuse qui lui donnait un si sinistre aspect.


CHAPITRE XII.

COMMENT BUSSY RETROUVA À LA FOIS LE PORTRAIT ET L’ORIGINAL.


La chasse fut terminée vers les quatre heures du soir ; et à cinq heures, comme si le roi avait prévu les désirs du duc d’Anjou, toute la cour rentrait à Paris par le faubourg Saint-Antoine.

M. de Monsoreau, sous le prétexte de partir à l’instant même, avait pris congé des princes, et se dirigeait avec ses équipages vers Fromenteau.

En passant devant la Bastille, le roi fit remarquer à ses amis la fière et sombre apparence de la forteresse : c’était un moyen de leur rappeler ce qui les attendait, si par hasard, après avoir été ses amis, ils devenaient ses ennemis.

Beaucoup comprirent et redoublèrent de déférence envers Sa Majesté.