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— Je ne dis pas cela, monsieur.

— Mais, alors, décidez-vous donc.

— Je suis décidée.

— À être la comtesse de Monsoreau ?

— Plutôt que la maîtresse du duc d’Anjou.

— Plutôt que la maîtresse du duc d’Anjou, l’alternative est flatteuse.

Je me tus.

— N’importe, dit le comte, vous entendez ? Que Gertrude gagne jusqu’à mardi, et mardi nous verrons.

Le lendemain, Gertrude sortit comme d’habitude, mais elle ne vit point Aurilly. À son retour, nous fûmes plus inquiètes de son absence que nous ne l’eussions été de sa présence. Gertrude sortit de nouveau sans nécessité de sortir, pour le rencontrer seulement ; mais elle ne le rencontra point. Une troisième sortie fut aussi inutile que les deux premières.

J’envoyai Gertrude chez M. de Monsoreau, il était parti, et on ne savait point où il était.

Nous étions seules et isolées ; nous nous sentîmes faibles : pour la première fois je compris mon injustice envers le comte.

— Oh ! madame, s’écria Bussy, ne vous hâtez donc pas de revenir ainsi à cet homme ; il y a quelque chose dans toute sa conduite que nous ne savons pas, mais que nous saurons.

— Le soir vint, accompagné de terreurs profondes ; j’étais décidée à tout plutôt que de tomber vivante aux mains du duc d’Anjou. Je m’étais munie de ce poignard, et j’avais résolu de me frapper aux yeux du prince, au moment où lui ou de ses gens essayeraient de porter la main sur moi. Nous nous barricadâmes dans nos chambres. Par une négligence incroyable, la porte de la rue n’avait pas de verrou intérieur. Nous cachâmes la lampe et nous nous plaçâmes à notre observatoire.

Tout fut tranquille jusqu’à onze heures du soir ; à onze heures, cinq hommes débouchèrent par la rue Saint-Antoine, parurent tenir conseil, et s’en allèrent s’embusquer dans l’angle du mur de l’hôtel des Tournelles.

Nous commençâmes à trembler ; ces hommes étaient probablement là pour nous.

Cependant ils se tinrent immobiles ; un quart d’heure à peu près s’écoula.

Au bout d’un quart d’heure nous vîmes paraître deux autres hommes au coin de la rue Saint-Paul. La lune, qui glissait entre les nuages, permit à Gertrude de reconnaître Aurilly dans l’un de ces deux hommes.

— Hélas ! mademoiselle, ce sont eux, murmura la pauvre fille.

— Oui, répondis-je toute frissonnante de terreur, et les cinq autres sont là pour leur prêter secours.

— Mais il faudra qu’ils enfoncent la porte, dit Gertrude, et, au bruit, les voisins accourront.

— Pourquoi veux-tu que les voisins accourent ? Nous connaissent-ils et ont-ils quelque motif de se faire une mauvaise affaire pour nous défendre ? Hélas ! en réalité, Gertrude, nous n’avons de véritable défenseur que le comte.

— Eh bien, pourquoi refusez-vous donc toujours d’être comtesse ?

Je poussai un soupir.


CHAPITRE XVI.

CE QUE C’ÉTAIT QUE DIANE DE MÉRIDOR. — LE MARIAGE.


Pendant ce temps, les deux hommes qui avaient paru au coin de la rue Saint-Paul s’étaient glissés le long des maisons et se tenaient sous nos fenêtres.

Nous entr’ouvrîmes doucement la croisée.

— Es-tu sûr que c’est ici ? demanda une voix.

— Oui, monseigneur, parfaitement sûr. C’est la cinquième maison, à partir du coin de la rue Saint-Paul.

— Et la clé, penses-tu qu’elle ira ?

— J’ai pris l’empreinte de la serrure.

Je saisis le bras de Gertrude et je le serrai avec violence.

— Et une fois entré ?

— Une fois entré, c’est mon affaire. La suivante nous ouvrira. Votre Altesse possède dans sa poche une clé d’or qui vaut bien celle-ci.

— Ouvre donc alors.

Nous entendîmes le grincement de la clé dans la serrure. Mais, tout à coup, les hommes embusqués à l’angle de l’hôtel se détachèrent de la muraille, et s’élancèrent vers le prince et vers Aurilly, en criant : « À mort ! à mort ! »

Je n’y comprenais plus rien ; ce que je devinais seulement, c’est qu’un secours inattendu, inespéré, inouï, nous arrivait. Je tombai à genoux et je remerciai le ciel.

Mais le prince n’eut qu’à se montrer, le prince n’eut qu’à dire son nom, toutes les voix se turent, toutes les épées rentrèrent au fourreau, et chaque agresseur fit un pas en arrière.

— Oui, oui, dit Bussy, ce n’était point au prince qu’ils en voulaient : c’était à moi.

— En tout cas, reprit Diane, cette attaque éloigna le prince. Nous le vîmes se retirer par la rue de Jouy, tandis que les cinq gentilshommes de l’embuscade allaient reprendre leur poste au coin de l’hôtel des Tournelles.

Il était évident que, pour cette nuit du moins, le danger venait de s’écarter de nous, car ce n’était point à moi qu’en voulaient les cinq gentilshommes. Mais nous étions trop inquiètes et trop émues pour ne point rester sur pied. Nous demeurâmes debout contre la fenêtre, et nous attendîmes quelque événement inconnu que nous sentions instinctivement s’avancer à notre rencontre.

L’attente fut courte. Un homme à cheval parut, tenant le milieu de la rue Saint-Antoine. C’était sans doute celui que les cinq gentilshommes embusqués attendaient, car, en l’apercevant, ils crièrent : Aux épées ! aux épées ! et s’élancèrent sur lui.

Vous savez tout ce qui a rapport à ce gentilhomme, dit Diane, puisque ce gentilhomme, c’était vous.

— Au contraire, madame, dit Bussy, qui, dans le récit de la jeune femme, espérait tirer quelque secret de son cœur ; au contraire, je ne sais rien que le combat, puisque après le combat je m’évanouis.

— Il est inutile de vous dire, reprit Diane avec une légère rougeur, l’intérêt que nous prîmes à cette lutte si inégale et néanmoins si vaillamment soutenue. Chaque épisode du combat nous arrachait un frissonnement, un cri, une prière. Nous vîmes votre cheval faiblir et s’abattre. Nous vous crûmes perdu ; mais il n’en était rien, le brave Bussy méritait sa réputation. Vous tombâtes debout et n’eûtes pas même besoin de vous relever pour frapper vos ennemis ; enfin, entouré, menacé de toutes parts, vous fîtes retraite comme le lion, la face tournée à vos adversaires, et vous vîntes vous appuyer à la porte ; alors, la même idée nous vint à Gertrude et à moi, c’était de descendre pour vous ouvrir ; elle me regarda : oui, lui dis-je ; et toutes deux nous nous élançâmes vers l’escalier. Mais, comme je vous l’ai dit, nous nous étions barricadées en dedans, il nous fallut quelques secondes pour écarter les meubles qui obstruaient le passage, et au moment où nous arrivions sur le palier, nous entendîmes la porte de la rue qui se refermait.

Nous restâmes toutes deux immobiles. Quelle était donc la personne qui venait d’entrer et comment était-elle entrée ?

Je m’appuyai à Gertrude, et nous demeurâmes muettes et dans l’attente.

Bientôt des pas se firent entendre dans l’allée ; ils se rapprochaient de l’escalier, un homme parut, chancelant, étendit les bras, et tomba sur les premières marches en poussant un sourd gémissement.

Il était évident que cet homme n’était point poursuivi ; qu’il avait mis la porte, si heureusement laissée ouverte par le duc d’Anjou, entre lui et ses adversaires, et que, blessé dangereusement, à mort peut-être, il était venu s’abattre au pied de l’escalier.

En tout cas, nous n’avions rien à craindre, et c’était au contraire cet homme qui avait besoin de notre secours.