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LA REINE MARGOT.

à se faire entendre, se rapprochant rapidement, et une sorte de vapeur tumultueuse avertit les chasseurs de se tenir sur leurs gardes. Chacun leva la tête et tendit l’oreille.

Presque aussitôt, le sanglier déboucha, et au lieu de se rejeter dans le bois, il suivit la route venant droit sur le carrefour où se trouvaient les dames, les gentilshommes qui leur faisaient la cour, et les chasseurs qui avaient perdu la chasse.

Derrière lui, et lui soufflant au poil, venaient trente ou quarante chiens des plus robustes ; puis, derrière les chiens, à vingt pas à peine, le roi Charles sans toquet, sans manteau, avec ses habits tout déchirés par les épines, le visage et les mains en sang.

Un ou deux piqueurs restaient seuls avec lui.

Le roi ne quittait son cor que pour exciter ses chiens, ne cessait d’exciter ses chiens que pour reprendre son cor. Le monde tout entier avait disparu à ses yeux. Si son cheval eût manqué, il eût crié comme Richard III : Ma couronne pour un cheval !

Mais le cheval paraissait aussi ardent que le maître, ses pieds ne touchaient pas la terre et ses naseaux soufflaient le feu.

Le sanglier, les chiens, le roi passèrent comme une vision.

— Hallali, hallali ! cria le roi en passant, et il ramena son cor à ses lèvres sanglantes.

À quelques pas de lui venaient le duc d’Alençon et deux piqueurs ; seulement les chevaux des autres avaient renoncé ou ils s’étaient perdus.

Tout le monde partit sur la trace, car il était évident que le sanglier ne tarderait pas à tenir.

En effet, au bout de dix minutes à peine le sanglier quitta le sentier qu’il suivait et se jeta dans le bois ; mais, arrivé à une clairière, il s’accula à une roche et fit tête aux chiens.

Aux cris de Charles, qui l’avait suivi, tout le monde accourut.

On était arrivé au moment intéressant de la chasse. L’animal paraissait résolu à une défense désespérée. Les chiens, animés par une course de plus de trois heures, se ruaient sur lui avec un acharnement que redoublaient les cris et les jurons du roi.