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LA REINE MARGOT.

trahisse. De bonne foi, trahiriez-vous les secrets de la princesse de Porcian, votre femme ?

— Allons, allons, Madame, dit le duc en secouant la tête, c’est bien. Je vois que vous ne m’aimez plus comme aux jours où vous me racontiez ce que tramait le roi contre moi et les miens.

— Le roi était le fort et vous étiez les faibles. Henri est le faible et vous êtes les forts. Je joue toujours le même rôle vous le voyez bien.

— Seulement vous passez d’un camp à l’autre.

— C’est un droit que j’ai acquis, Monsieur, en vous sauvant la vie.

— Bien, Madame ; et comme quand on se sépare on se rend entre amants tout ce qu’on s’est donné, je vous sauverai la vie à mon tour, si l’occasion s’en présente, et nous serons quittes.

Et sur ce le duc s’inclina et sortit sans que Marguerite fît un geste pour le retenir.

Dans l’antichambre il trouva Gillonne, qui le conduisit jusqu’à la fenêtre du rez-de-chaussée, et dans les fossés son page avec lequel il retourna à l’hôtel de Guise.

Pendant ce temps, Marguerite, rêveuse, alla se placer à sa fenêtre.

— Quelle nuit de noces ! murmura-t-elle ; l’époux me fuit et l’amant me quitte !

En ce moment passa de l’autre côté du fossé, venant de la Tour de Bois et remontant vers le moulin de la Monnaie, un écolier, le poing sur la hanche et chantant :


Pourquoi doncques, quand je veux
Ou mordre tes beaux cheveux,
Ou baiser ta bouche aimée,
Ou toucher à ton beau sein,
Contrefais-tu la nonnain
Dedans un cloître enfermée ?

Pour qui gardes-tu tes yeux
Et ton sein délicieux,
Ton front, ta lèvre jumelle ?
En veux-tu baiser Pluton,
Là-bas, après que Caron
T’aura mise en sa nacelle ?