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LA REINE MARGOT.

possible. Ces catholiques italiens sont enragés et n’entendent rien qu’à exterminer. Moi, tout au contraire, non-seulement je veux pacifier, mais encore je veux donner de la puissance à ceux de la religion. Les autres sont trop dissolus, mon père, et ils me scandalisent par leurs amours et par leurs dérèglements. Tiens, veux-tu que je te parle franchement, continua Charles IX en redoublant d’épanchement, je me défie de tout ce qui m’entoure, excepté de mes nouveaux amis ! L’ambition des Tavannes m’est suspecte. Vieilleville n’aime que le bon vin, et il serait capable de trahir son roi pour une tonne de malvoisie. Montmorency ne se soucie que de la chasse, et passe son temps entre ses chiens et ses faucons. Le comte de Retz est Espagnol, les Guises sont Lorrains. Il n’y a de vrais Français en France, je crois, Dieu me pardonne ! que moi, mon beau-frère de Navarre et toi. Mais, moi, je suis enchaîné au trône et ne puis commander des armées. C’est tout au plus si on me laisse chasser à mon aise à Saint-Germain et à Rambouillet. Mon beau-frère de Navarre est trop jeune et trop peu expérimenté. D’ailleurs, il me semble en tout point tenir de son père Antoine que les femmes ont toujours perdu. Il n’y a que toi, mon père, qui sois à la fois brave comme Julius Caesar, et sage comme Plato. Aussi, je ne sais ce que je dois faire, en vérité : te garder comme conseiller ici, ou t’envoyer là-bas comme général. Si tu me conseilles, qui commandera ? Si tu commandes, qui me conseillera ?

— Sire, dit Coligny, il faut vaincre d’abord, puis le conseil viendra après la victoire.

— C’est ton avis, mon père ? eh bien ! soit. Il sera fait selon ton avis. Lundi tu partiras pour les Flandres, et moi, pour Amboise.

— Votre Majesté quitte Paris ?

— Oui. Je suis fatigué de tout ce bruit et de toutes ces fêtes. Je ne suis pas un homme d’action, moi, je suis un rêveur. Je n’étais pas né pour être roi, j’étais né pour être poëte. Tu feras une espèce de conseil qui gouvernera tant que tu seras à la guerre ; et pourvu que ma mère n’en soit pas, tout ira bien. Moi, j’ai déjà prévenu Ronsard de venir me rejoindre ; et là, tous les deux loin du bruit, loin du monde, loin des méchants, sous nos grands bois, aux bords de la rivière, au murmure des ruisseaux, nous parlerons