Page:Dumas - Le Capitaine Aréna.djvu/213

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rare que du premier coup on vous donne une paire de draps blancs ; presque toujours on essaie de surprendre votre religion avec des draps douteux, ou avec un drap propre et un drap sale ; chaque soir c’est une lutte qui se renouvelle avec les mêmes ruses et la même obstination de la part des aubergistes, qui, à mon avis, auraient bien plutôt fait de les faire blanchir. Mais sans doute, quelque préjugé qui s’y oppose, quelque superstition qui le défende, les draps blancs, c’est le rara avis de Juvénal, c’est le phénix de la princesse de Babylone.

Je passai en revue.toute la lingerie de l’hôtel sans en venir à mon honneur. Cette fois, je n’y tins pas ; indiscret ou non, j’écrivis à monsieur le chevalier Alcala pour le prier de nous prêter deux paires de draps. Il accourut lui-même pour nous offrir d’aller coucher chez lui ; mais comme nous comptions partir le lendemain de grand matin, je ne voulus pas lui causer ce dérangement. Il insista, mais je tins bon ; et le garçon de l’hôtel, envoyé chez lui, revint avec les bienheureux draps tant ambitionnés.

Je profitai de cette visite pour arrêter avec lui nos affaires relativement au speronare. Il était évident qu’après la tempête de la nuit, nos gens n’arriveraient pas dans la journée ; il fallait donc continuer notre route par terre. Je laissai trois lettres pour le capitaine : une à l’auberge de la place, l’autre à l’auberge du rivage, et l’autre à monsieur le chevalier Alcala. Toutes trois annonçaient à notre équipage que nous partions pour Cosenza, et lui donnaient rendez-vous à San-Lucido.

Les nouvelles du tremblement de terre commençaient à arriver de l’intérieur de la Calabre : on disait que Cosenza et ses environs avaient beaucoup souffert ; plusieurs villages, à ce qu’on assurait, n’offraient plus que des ruines ; des maisons avaient disparu, entièrement englouties, elles et leurs habitans. Au reste, les secousses continuaient tous les jours, ou plutôt toutes les nuits, ce qui faisait qu’on ignorait où s’arrêterait la catastrophe. Je demandai au chevalier Alcala si la tempête, de celte nuit n’avait pas quelques rapports avec le tremblement de terre, mais il me répondit en souriant, moitié croyant, moitié incrédule, que la tempête de la nuit