Page:Dumas - Le Capitaine Aréna.djvu/86

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— En ce cas, dit Jadin en sautant du bastingage sur le pont, je ne vois plus aucun motif de ne pas faire frire des pommes de terre.

Et comme il comprenait assez médiocrement le patois sicilien, il descendit à la cuisine pendant que, pour ne pas perdre un mot de l’intéressant récit qui m’attendait, j’allai m’asseoir près de Pietro.

Voyez-vous, me dit Pietro, il y a onze ans de cela ; nous étions en 1824. Le capitaine Aréna, pas celui-ci, son oncle, venait de se marier ; c’était un beau jeune homme de vingt-deux ans, qui avait un petit bâtiment à lui avec lequel il faisait le commerce tout le long des côtes. Il avait épousé une fille du village della Pace ; vous le connaissez bien, c’est le pays qui est entre Messine et le Phare, et dont nous sommes quasi tous. Nous avions fait une noce enragée pendant trois jours, et le quatrième, qui était un dimanche, nous étions allés au lac de Pantana. C’était le jour de la procession de Saint-Nicolas, procession à laquelle vous avez assisté cette année, et ce jour-là c’est grande fête. On descend sa chaise comme vous savez ; on tare des feux d’artifice, des coups de fusil, et l’on danse. Antonio donnait le bras à sa femme, lorsqu’il sent qu’on le coudoie et qu’il entend prononcer son nom. Il se retourna ; c’était une femme couverte d’un voile de taffetas noir, comme vous avez pu voir que les Siciliennes en portent, mais pour sortir dans les rues et non pour aller aux fêtes. Il croit qu’il s’est trompé, il continue sa route. C’est bien. Cinq minutes après, même répétition ; on le coudoie de nouveau et on répète son nom. Cette fois là il était bien sûr de son fait ; mais comme il était avec sa femme, il ne fait encore signe de rien. Enfin ça recommence une troisième fois. Oh ! pour le coup il perd patience. Tiens, Pietro, qu’il me dit, reste auprès de ma femme ; je vois là-bas quelqu’un à qui il faut que je parle. Je ne me le fais pas dire deux lois ; je prends la menotte de la mariée, je la passe sous mon bras, et me voilà fier comme un paon de promener la femme de mon capitaine. Quant à lui, il était filé.

Tout en marchant, nous arrivons auprès d’un ménétrier qui jouait la tarentelle sur sa guitare. Quand j’entends ce diable d’air, vous savez, je n’y peux pas tenir ; faut que je saute. Je