Page:Dumas - Le Collier de la reine, 1888, tome 1.djvu/17

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plus strict, le plus opaque. Pardieu ! je reconnais bien là vos sottes vanités, messieurs de la serviette ! Ce n’est pas la couronne que vous honorez, c’est vous-mêmes que vous glorifiez avec nos écus.

— Je ne suppose pas, dit aigrement le maître d’hôtel, que ce soit sérieusement que monseigneur me parle d’argent.

— Eh non ! monsieur, dit le maréchal presque humilié ; non. Argent ! qui diable vous parle d’argent ? Ne détournez pas la question, je vous prie, et je vous répète que je ne veux point qu’il soit question de roi ici.

— Mais, monsieur le maréchal, pour qui donc me prenez-vous ? Croyez-vous que j’aille ainsi en aveugle ? Mais il ne sera pas un instant question de roi.

— Alors ne vous obstinez point, et faites-moi dîner à quatre heures.

— Non, monsieur le maréchal, parce qu’à quatre heures ce que j’attends ne sera point arrivé.

— Qu’attendez-vous ? un poisson ? comme monsieur Vatel.

— Monsieur Vatel, monsieur Vatel, murmura le maître d’hôtel.

— Eh bien ! êtes-vous choqué de la comparaison ?

— Non ; mais pour un malheureux coup d’épée que monsieur Vatel se donna au travers du corps, monsieur Vatel est immortalisé !

— Ah ! ah ! et vous trouvez, monsieur, que votre confrère a payé la gloire trop bon marché ?

— Non, monseigneur, mais combien d’autres souffrent plus que lui dans notre profession, et dévorent des douleurs ou des humiliations cent fois pires qu’un coup d’épée, et qui cependant ne sont point immortalisés !

— Eh ! monsieur, pour être immortalisé, ne savez-vous pas qu’il faut être de l’Académie ou être mort ?

— Monseigneur, s’il en est ainsi, mieux vaut être bien vivant et faire son service. Je ne mourrai pas, et mon service sera fait comme eût été fait celui de Vatel, si monsieur le prince de Condé eût eu la patience d’attendre une demi-heure.