Page:Dumas - Le Collier de la reine, 1888, tome 1.djvu/24

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vives : des assiettes qui changeaient de place sans qu’on les entendît sonner, de l’argenterie qui passait des buffets sur la table sans une seule vibration, un maître d’hôtel dont on ne pouvait pas même surprendre le susurrement ; il donnait ses ordres avec les yeux.

Aussi, au bout de dix minutes, les convives se sentirent-ils parfaitement seuls dans cette salle ; en effet, des serviteurs aussi muets, des esclaves aussi impalpables devaient nécessairement être sourds.

Monsieur de Richelieu fut le premier qui rompit ce silence solennel qui dure autant que le potage, en disant à son voisin de droite :

— Monsieur le comte ne boit pas ?

Celui auquel s’adressaient ces paroles était un homme de trente-huit ans, blond de cheveux, petit de taille, haut d’épaules ; son œil, d’un bleu clair, était vif parfois, mélancolique souvent : la noblesse était écrite en traits irrécusables sur son front ouvert et généreux.

— Je ne bois que de l’eau, maréchal, répondit-il.

— Excepté chez le roi Louis XV, dit le duc. J’ai eu l’honneur d’y dîner avec monsieur le comte, et cette fois il a daigné boire du vin.

— Vous me rappelez là un excellent souvenir, monsieur le maréchal ; oui, en 1771 ; c’était du vin de Tokay du crû impérial.

— C’était le pareil de celui-ci, que mon maître d’hôtel a l’honneur de vous verser en ce moment, monsieur le comte, répondit Richelieu en s’inclinant.

Le comte de Haga leva le verre à la hauteur de sou œil et le regarda à la clarté des bougies.

Il étincelait dans le verre comme un rubis liquide.

— C’est vrai, dit-il, monsieur le maréchal : merci. Et le comte prononça ce mot merci d’un ton si noble et si gracieux, que les assistans électrisés se levèrent d’un seul mouvement en criant :

— Vive Sa Majesté !

— C’est vrai, répondit le comte de Haga : vive Sa Majesté le roi de France ! N’êtes-vous pas de mon avis, monsieur de Lapeyrouse ?