Page:Dumas - Le Collier de la reine, 1888, tome 1.djvu/32

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quelques gouttes de la liqueur que contenait la petite bouteille.

Alors, étendant ces quelques gouttes dans un demi-verre de vin de Champagne glacé, il passa le breuvage ainsi préparé au baron.

Tous les yeux avaient suivi ses moindres mouvemens, toutes les bouches étaient béantes.

Le baron prit le verre, mais au moment de le porter à ses lèvres, il hésita.

Chacun, à la vue de cette hésitation, se mit à rire si bruyamment, que Cagliostro s’impatienta.

— Dépêchez-vous, baron, dit-il, ou vous allez laisser perdre une liqueur dont chaque goutte vaut cent louis.

— Diable ! fit Richelieu essayant de plaisanter ; c’est autre chose que le vin de tokay.

— Il faut donc boire ? demanda le baron presque tremblant.

— Ou passer le verre à un autre, monsieur, afin que l’élixir profite au moins à quelqu’un.

— Passe, dit le duc de Richelieu en tendant la main.

Le baron flaira son verre, et décidé sans doute par l’odeur vive et balsamique, par la belle couleur rosée que les quelques gouttes d’élixir avaient communiquée au vin de Champagne, il avala la liqueur magique.

Au même instant, il lui sembla qu’un frisson secouait son corps et faisait refluer vers l’épiderme tout le sang vieux et lent qui dormait dans ses veines, depuis les pieds jusqu’au cœur. Sa peau ridée se tendit, ses yeux flasquement couverts par le voile de leurs paupières furent dilatés sans que la volonté y prît part. La prunelle joua vive et grande, le tremblement de ses mains fit place à un aplomb nerveux ; sa voix s’affermit, et ses genoux, redevenus élastiques comme aux plus beaux jours de sa jeunesse, se dressèrent en même temps que les reins ; et cela comme si la liqueur, en descendant, avait régénéré tout ce corps de l’une à l’autre extrémité.

Un cri de surprise, de stupeur, un cri d’admiration surtout retentit dans l’appartement. Taverney, qui mangeait du bout des gencives, se sentit affamé. Il prit vigoureuse-