Page:Dumas - Le Collier de la reine, 1888, tome 1.djvu/47

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songez-y donc, c’est la dernière consolation que le malheureux garde sous le couteau, alors que déjà le couteau le touche, qu’il sent le tranchant de l’acier, que son sang coule. La vie s’éteint, l’homme espère encore.

— C’est vrai ! dirent à voix basse quelques-uns des assistans.

— Oui, continua Condorcet, le voile qui couvre la fin de notre vie est le seul bien réel que Dieu ait fait à l’homme sur la terre.

— Eh bien ! quoi qu’il en soit, dit le comte de Haga, s’il m’arrivait d’entendre dire par un homme comme vous : Défiez-vous de tel homme ou de telle chose, je prendrais l’avis pour bon, et je remercierais le conseiller.

Cagliostro secoua doucement la tête, en accompagnant ce geste d’un triste sourire.

— En vérité, monsieur de Cagliostro, continua le comte avertissez-moi, et je vous remercierai.

— Vous voudriez que je vous dise, à vous, ce que je n’ai point voulu dire à monsieur de Lapeyrouse ?

— Oui, je le voudrais.

Cagliostro fit un mouvement comme s’il allait parler ; puis s’arrêtant :

— Oh ! non, dit-il, monsieur le comte, non.

— Je vous en supplie.

Cagliostro détourna la tête.

— Jamais ! murmura-t-il.

— Prenez garde, dit le comte avec un sourire, vous allez encore me rendre incrédule.

— Mieux vaut l’incrédulité que l’angoisse.

— Monsieur de Cagliostro, dit gravement le comte, vous oubliez une chose.

— Laquelle ? demanda respectueusement le prophète.

— C’est que, s’il est certains hommes qui, sans inconvénient, peuvent ignorer leur destinée, il en est d’autres qui auraient besoin de connaître l’avenir, attendu que leur destinée importe non-seulement à eux, mais à des millions d’hommes.

— Alors, dit Cagliostro, un ordre. Non, je ne ferai rien sans un ordre.