Page:Dumas - Le Comte de Monte-Cristo (1889) Tome 2.djvu/112

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braves gens. Dans une autre époque, mes amis, continua Morrel, j’eusse ajouté : Donnez-leur à chacun deux cents francs de gratification ; mais les temps sont malheureux, mes amis, et le peu d’argent qui me reste ne m’appartient plus. Excusez-moi donc, et ne m’en aimez pas moins pour cela.

Penelon fit une grimace d’attendrissement, se retourna vers ses compagnons, échangea quelques mots avec eux et revint.

— Pour ce qui est de cela, monsieur Morrel, dit-il en passant sa chique de l’autre côté de sa bouche et en lançant dans l’antichambre un second jet de salive qui alla faire le pendant au premier, pour ce qui est de cela…

— De quoi ?

— De l’argent…

— Eh bien ?

— Eh bien ! monsieur Morrel, les camarades disent que pour le moment ils auront assez avec cinquante francs chacun et qu’ils attendront pour le reste.

— Merci, mes amis, merci ! s’écria M. Morrel, touché jusqu’au cœur : vous êtes tous de braves cœurs ; mais prenez, prenez, et si vous trouvez un bon service, entrez-y, vous êtes libres.

Cette dernière partie de la phrase produisit un effet prodigieux sur les dignes marins. Ils se regardèrent les uns les autres d’un air effaré. Penelon, à qui la respiration manqua, faillit en avaler sa chique ; heureusement il porta à temps la main à son gosier.

— Comment, monsieur Morrel, dit-il d’une voix étranglée, comment, vous nous renvoyez ! vous êtes donc mécontent de nous ?

— Non, mes enfants, dit l’armateur ; non, je ne suis