Page:Dumas - Le Comte de Monte-Cristo (1889) Tome 2.djvu/133

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et quitter la vie, qui avait pour lui toutes les douceurs de la famille, est impossible à exprimer : il eût fallu voir, pour en prendre une idée, son front couvert de sueur, et cependant résigné, ses yeux mouillés de larmes, et cependant levés au ciel.

L’aiguille marchait toujours, les pistolets étaient tout chargés ; il allongea la main, en prit un, et murmura le nom de sa fille.

Puis il posa l’arme mortelle, prit la plume et écrivit quelques mots.

Il lui semblait alors qu’il n’avait pas assez dit adieu à son enfant chérie.

Puis il se retourna vers la pendule ; il ne comptait plus par minute mais par seconde.

Il reprit l’arme, la bouche entr’ouverte et les yeux fixés sur l’aiguille ; puis il tressaillit au bruit qu’il faisait lui-même en armant le chien.

En ce moment une sueur plus froide lui passa sur le front, une angoisse plus mortelle lui serra le cœur.

Il entendit la porte de l’escalier crier sur ses gonds.

Puis s’ouvrit celle de son cabinet.

La pendule allait sonner onze heures.

Morrel ne se retourna point, il attendait ces mots de Coclès :

« Le mandataire de la maison Thomson et French. »

Et il approchait l’arme de sa bouche…

Tout à coup il entendit un cri : c’était la voix de sa fille.

Il se retourna et aperçut Julie, le pistolet lui échappa des mains.

— Mon père ! s’écria la jeune fille hors d’haleine et presque mourante de joie, sauvé ! vous êtes sauvé !

Et elle se jeta dans ses bras en élevant à la main une bourse rouge en filet de soie.