— Mais enfin, dit la comtesse palpitante et les yeux attachés sur les yeux de Monte-Cristo, dont elle ressaisit presque convulsivement le bras avec ses deux mains, nous sommes amis, n’est-ce pas ?
Le sang afflua au cœur du comte, qui devint pâle comme la mort, puis, remontant du cœur à la gorge, il envahit ses joues, et ses yeux nagèrent dans le vague pendant quelques secondes, comme ceux d’un homme frappé d’éblouissement.
— Certainement que nous sommes amis, madame, répliqua-t-il ; d’ailleurs, pourquoi ne le serions-nous pas ?
Ce ton était si loin de celui que désirait madame de Morcerf, qu’elle se retourna pour laisser échapper un soupir qui ressemblait à un gémissement.
— Merci, dit-elle.
Et elle se remit à marcher. Ils firent ainsi le tour du jardin sans prononcer une seule parole.
— Monsieur, reprit tout à coup la comtesse après dix minutes de promenade silencieuse, est-il vrai que vous ayez tant vu, tant voyagé, tant souffert ?
— J’ai beaucoup souffert, oui, madame, répondit Monte-Cristo.
— Mais vous êtes heureux, maintenant ?
— Sans doute, répondit le comte, car personne ne m’entend me plaindre.
— Et votre bonheur présent vous fait l’âme plus douce ?
— Mon bonheur présent égale ma misère passée, dit le comte.
— N’êtes-vous point marié ? demanda la comtesse.
— Moi, marié, répondit Monte-Cristo en tressaillant, qui a pu vous dire cela ?
— On ne me l’a pas dit, mais plusieurs fois on vous a vu conduire à l’Opéra une jeune et belle personne.