Page:Dumas - Le Comte de Monte-Cristo (1889) Tome 4.djvu/230

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savez, un homme n’en arrive pas où j’en suis, un homme n’a pas été procureur du roi vingt-cinq ans sans s’être amassé bon nombre d’ennemis ; les miens sont nombreux. Cette affaire ébruitée sera pour eux un triomphe qui les fera tressaillir de joie, et moi me couvrira de honte. Docteur, pardonnez-moi ces idées mondaines. Si vous étiez un prêtre, je n’oserais vous dire cela ; mais vous êtes un homme, mais vous connaissez les autres hommes ; docteur, docteur, vous ne m’avez rien dit, n’est-ce pas ?

— Mon cher monsieur de Villefort, répondit le docteur ébranlé, mon premier devoir est l’humanité. J’eusse sauvé madame de Saint-Méran si la science eût eu le pouvoir de le faire, mais elle est morte, je me dois aux vivants. Ensevelissons au plus profond de nos cœurs ce terrible secret. Je permettrai, si les yeux de quelques-uns s’ouvrent là-dessus, qu’on impute à mon ignorance le silence que j’aurai gardé. Cependant, monsieur, cherchez toujours, cherchez activement, car peut-être cela ne s’arrêtera-t-il point là… Et quand vous aurez trouvé le coupable, si vous le trouvez, c’est moi qui vous dirai : Vous êtes magistrat, faites ce que vous voudrez !

— Oh ! merci, merci, docteur ! dit Villefort avec une joie indicible, je n’ai jamais eu de meilleur ami que vous.

Et comme s’il eût craint que le docteur d’Avrigny ne revînt sur cette concession, il se leva et entraîna le docteur du côté de la maison.

Ils s’éloignèrent.

Morrel, comme s’il eût eu besoin de respirer, sortit sa tête du taillis, et la lune éclaira ce visage si pâle qu’on eût pu le prendre pour un fantôme.

— Dieu me protège d’une manifeste mais terrible