Page:Dumas - Le Comte de Monte-Cristo (1889) Tome 4.djvu/301

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— Je marchais à peine ; ma mère, que l’on appelle Vasiliki (Vasiliki veut dire royale, ajouta la jeune fille en relevant la tête), ma mère me prenait par la main, et, toutes deux couvertes d’un voile, après avoir mis au fond de la bourse tout l’or que nous possédions, nous allions demander l’aumône pour les prisonniers, en disant :

« Celui qui donne aux pauvres prête à l’Éternel[1]. » Puis, quand notre bourse était pleine, nous rentrions au palais, et, sans rien dire à mon père, nous envoyions tout cet argent qu’on nous avait donné, nous prenant pour de pauvres femmes, à l’égoumenos du couvent, qui le répartissait entre les prisonniers.

— Et à cette époque quel âge aviez-vous ?

— Trois ans, dit Haydée.

— Alors, vous vous souvenez de tout ce qui s’est passé autour de vous depuis l’âge de trois ans ?

— De tout.

— Comte, dit tout bas Morcerf à Monte-Cristo, vous devriez permettre à la signora de nous raconter quelque chose de son histoire. Vous m’avez défendu de lui parler de mon père, mais peut-être m’en parlera-t-elle, et vous n’avez pas idée combien je serais heureux d’entendre sortir son nom d’une si jolie bouche.

Monte-Cristo se tourna vers Haydée, et par un signe de sourcil qui lui indiquait d’accorder la plus grande attention à la recommandation qu’il allait lui faire, il lui dit en grec :

Πατρὸς μέν ἄτην, μηδὲ ὄνομα προδότου καὶ προδοσίαν, εἰπὲ ἡμῖν[2].

  1. Proverbes xix.
  2. Mot à mot : « De ton père le sort, mais pas le nom du traître, ni la trahison, raconte-nous. »