Page:Dumas - Le Comte de Monte-Cristo (1889) Tome 5.djvu/113

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— Mais qui donc êtes-vous, alors ? et pourquoi, si vous m’avez vu, si vous m’avez connu, pourquoi me laissez-vous mourir ?

— Parce que rien ne peut te sauver, Caderousse, parce que tes blessures sont mortelles. Si tu avais pu être sauvé, j’aurais vu là une dernière miséricorde du Seigneur, et j’eusse encore, je te le jure par la tombe de mon père, essayé de te rendre à la vie et au repentir.

— Par la tombe de ton père ! dit Caderousse, ranimé par une suprême étincelle et se soulevant pour voir de plus près l’homme qui venait de lui faire ce serment sacré à tous les hommes : Eh ! qui es-tu donc ?

Le comte n’avait pas cessé de suivre le progrès de l’agonie. Il comprit que cet élan de vie était le dernier ; il s’approcha du moribond, et le couvrant d’un regard calme et triste à la fois :

— Je suis… lui dit-il à l’oreille, je suis…

Et ses lèvres, à peine ouvertes, donnèrent passage à un nom prononcé si bas, que le comte semblait craindre de l’entendre lui-même.

Caderousse, qui s’était soulevé sur ses genoux, étendit les bras, fit un effort pour se reculer, puis joignant les mains et les levant avec un suprême effort :

— Mon Dieu, mon Dieu, dit-il, pardon de vous avoir renié ; vous existez bien, vous êtes bien le père des hommes au ciel et le juge des hommes sur la terre ! Mon Dieu, Seigneur, je vous ai longtemps méconnu ! Mon Dieu, Seigneur, pardonnez-moi ! mon Dieu, Seigneur, recevez-moi !

Et Caderousse, fermant les yeux, tomba renversé en arrière avec un dernier cri et avec un dernier soupir.

Le sang s’arrêta aussitôt aux lèvres de ses larges blessures.