Page:Dumas - Le Comte de Monte-Cristo (1889) Tome 5.djvu/215

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— Moi, aussi, Albert, répondit Mercédès ; moi aussi je pars. J’avais compté, je l’avoue, que mon fils m’accompagnerait ; me suis-je trompée ?

— Ma mère, dit Albert avec fermeté, je ne puis vous faire partager le sort que je me destine : il faut que je vive désormais sans nom et sans fortune ; il faut, pour commencer l’apprentissage de cette rude existence, que j’emprunte à un ami le pain que je mangerai d’ici au moment où j’en gagnerai d’autre. Ainsi, ma bonne mère, je vais de ce pas chez Franz le prier de me prêter la petite somme que j’ai calculé m’être nécessaire.

— Toi, mon pauvre enfant ! s’écria Mercédès ; toi souffrir de la misère, souffrir de la faim ! Oh ! ne dis pas cela, tu briserais toutes mes résolutions.

— Mais non pas les miennes, ma mère, répondit Albert. Je suis jeune, je suis fort, je crois que je suis brave ; et depuis hier j’ai appris ce que peut la volonté. Hélas ! ma mère, il y a des gens qui ont tant souffert, et qui non seulement ne sont pas morts, mais qui encore ont édifié une nouvelle fortune sur la ruine de toutes les promesses de bonheur que le ciel leur avait faites, sur les débris de toutes les espérances que Dieu leur avait données ! J’ai appris cela, ma mère, j’ai vu ces hommes ; je sais que du fond de l’abîme où les avait plongés leur ennemi, ils se sont relevés avec tant de vigueur et de gloire, qu’ils ont dominé leur ancien vainqueur et l’ont précipité à son tour. Non, ma mère, non ; j’ai rompu, à partir d’aujourd’hui, avec le passé, et je n’en accepte plus rien, pas même mon nom, parce que, vous le comprenez, vous, n’est-ce pas, ma mère ? votre fils ne peut porter le nom d’un homme qui doit rougir devant un autre homme !

— Albert, mon enfant, dit Mercédès, si j’avais eu un