Page:Dumas - Le Comte de Monte-Cristo (1889) Tome 5.djvu/69

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— C’est bon, c’est bon, dit Andrea avec humeur ; pardieu ! si c’est pour déjeuner avec toi que tu m’as dérangé, que le diable t’emporte !

— Mon fils, dit sentencieusement Caderousse, en mangeant l’on cause ; et puis, ingrat que tu es, tu n’as donc pas de plaisir à voir un peu ton ami ? Moi, j’en pleure de joie.

Caderousse, en effet, pleurait réellement ; seulement, il eût été difficile de dire si c’était la joie ou les oignons qui opéraient sur la glande lacrymale de l’ancien aubergiste du pont du Gard.

— Tais-toi donc, hypocrite, dit Andrea ; tu m’aimes, toi ?

— Oui, je t’aime, ou le diable m’emporte ; c’est une faiblesse, dit Caderousse, je le sais bien, mais c’est plus fort que moi.

— Ce qui ne t’empêche pas de m’avoir fait venir pour quelque perfidie.

— Allons donc ! dit Caderousse en essuyant son large couteau à son tablier, si je ne t’aimais pas, est-ce que je supporterais la vie misérable que tu me fais ? Regarde un peu, tu as sur le dos l’habit de ton domestique, donc tu as un domestique ; moi je n’en ai pas, et je suis forcé d’éplucher mes légumes moi-même : tu fais fi de ma cuisine, parce que tu dînes à la table d’hôte de l’hôtel des Princes ou au Café de Paris. Eh bien ! moi aussi je pourrais avoir un domestique, moi aussi je pourrais avoir un tilbury ; moi aussi je pourrais dîner où je voudrais : eh bien ! pourquoi est-ce que je m’en prive ? pour ne pas faire de peine à mon petit Benedetto. Voyons, avoue seulement que je le pourrais, hein ?

Et un regard parfaitement clair de Caderousse termina le sens de la phrase.