Page:Dumas - Le Comte de Monte-Cristo (1889) Tome 6.djvu/148

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Et Andrea, glissant dans la cour comme une ombre noire, se précipita par le guichet entre-bâillé, laissant dans l’admiration ses confrères et le gardien lui-même.

On l’appelait en effet au parloir, et il ne faudrait pas s’en émerveiller moins qu’Andrea lui-même ; car le rusé jeune homme, depuis son entrée à la Force, au lieu d’user comme les gens du commun, de ce bénéfice d’écrire pour se faire réclamer, avait gardé le plus stoïque silence.

— Je suis, disait-il, évidemment protégé par quelqu’un de puissant ; tout me le prouve ; cette fortune soudaine, cette facilité avec laquelle j’ai aplani tous les obstacles, une famille improvisée, un nom illustre devenu ma propriété, l’or pleuvant chez moi, les alliances les plus magnifiques promises à mon ambition. Un malheureux oubli de ma fortune, une absence de mon protecteur m’a perdu, oui, mais pas absolument, pas à jamais ! La main s’est retirée pour un moment, elle doit se tendre vers moi et me ressaisir de nouveau au moment où je me croirai prêt à tomber dans l’abîme.

Pourquoi risquerais-je une démarche imprudente ? Je m’aliénerais peut-être le protecteur ! Il y a deux moyens pour lui de me tirer d’affaire : l’évasion mystérieuse, achetée à prix d’or, et la main forcée aux juges pour obtenir une absolution. Attendons pour parler, pour agir, qu’il me soit prouvé qu’on m’a totalement abandonné, et alors…

Andrea avait bâti un plan qu’on peut croire habile ; le misérable était intrépide à l’attaque et rude à la défense. La misère de la prison commune, les privations de tout genre, il les avait supportées. Cependant peu à peu le naturel, ou plutôt l’habitude, avait repris le dessus. Andrea souffrait d’être nu, d’être sale, d’être affamé ; le temps lui durait.