Page:Dumas - Le Comte de Monte-Cristo (1889) Tome 6.djvu/242

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La voiture continua sa route.

— À la première poste, se dit Danglars, j’arrêterai.

Danglars éprouvait encore un reste du bien-être qu’il avait ressenti la veille, et qui lui avait procuré une si bonne nuit. Il était mollement étendu dans une bonne calèche anglaise à doubles ressorts ; il se sentait entraîné par le galop de deux bons chevaux ; le relais était de sept lieues, il le savait. Que faire quand on est banquier et qu’on a heureusement fait banqueroute ?

Danglars songea dix minutes à sa femme restée à Paris, dix autres minutes à sa fille courant le monde avec mademoiselle d’Armilly ; il donna dix autres minutes à ses créanciers et à la manière dont il emploierait leur argent ; puis, n’ayant plus rien à quoi penser, il ferma les yeux et s’endormit.

Parfois cependant, secoué par un cahot plus fort que les autres, Danglars rouvrait un moment les yeux ; alors il se sentait toujours emporté avec la même vitesse à travers cette même campagne de Rome toute parsemée d’aqueducs brisés, qui semblent des géants de granit pétrifiés au milieu de leur course. Mais la nuit était froide, sombre, pluvieuse, et il faisait bien meilleur pour un homme à moitié assoupi de demeurer au fond de sa chaise les yeux fermés, que de mettre la tête à la portière pour demander où il était à un postillon qui ne savait répondre autre chose que : Non capisco.

Danglars continua donc de dormir, en se disant qu’il serait toujours temps de se réveiller au relais.

La voiture s’arrêta ; Danglars pensa qu’il touchait enfin au but tant désiré.

Il rouvrit les yeux, regarda à travers la vitre, s’attendant à se trouver au milieu de quelque ville, ou tout au moins de quelque village ; mais il ne vit rien qu’une