Page:Dumas - Le Comte de Monte-Cristo (1889) Tome 6.djvu/52

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m’assassiner ? Oh ! retirez-vous, monsieur, vous tentez ma conscience, vous blasphémez la bonté divine, c’est impossible, cela ne se peut pas.

— Êtes-vous donc la première que cette main frappe, Valentine ? n’avez-vous pas vu tomber autour de vous M. de Saint-Méran, madame de Saint-Méran, Barrois ? n’auriez-vous pas vu tomber M. Noirtier, si le traitement qu’il suit depuis près de trois ans ne l’avait protégé en combattant le poison par l’habitude du poison ?

— Oh ! mon Dieu ! dit Valentine, c’est pour cela que, depuis près d’un mois, bon-papa exige que je partage toutes ses boissons ?

— Et ces boissons, s’écria Monte-Cristo, ont un goût amer comme celui d’une écorce d’orange à moitié séchée, n’est-ce pas ?

— Oui, mon Dieu, oui !

— Oh ! cela m’explique tout, dit Monte-Cristo ; lui aussi sait qu’on empoisonne ici, et peut-être qui empoisonne.

Il vous a prémunie, vous son enfant bien-aimée, contre la substance mortelle, et la substance mortelle est venue s’émousser contre ce commencement d’habitude ; voilà comment vous vivez encore, ce que je ne m’expliquais pas, après avoir été empoisonnée il y a quatre jours avec un poison qui d’ordinaire ne pardonne pas.

— Mais quel est donc l’assassin, le meurtrier ?

— À votre tour je vous demanderai : N’avez-vous donc jamais vu entrer quelqu’un la nuit dans votre chambre ?

— Si fait.

Souvent j’ai cru voir passer comme des ombres, ces ombres s’approcher, s’éloigner, disparaître ; mais je les prenais pour des visions de ma fièvre, et tout à l’heure, quand vous êtes entré vous-même, eh bien ! j’ai cru longtemps ou que j’avais le délire, ou que je rêvais.