Page:Dumas - Le Vicomte de Bragelonne, 1876.djvu/106

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il n’en est pas moins vrai, cher ami, que je m’en retournerai, fort chéri de M. Monck, qui m’appelle my dear captain toute la journée, bien que je ne sois ni son cher, ni capitaine, et fort apprécié du roi, qui a déjà oublié mon nom ; il n’en est pas moins vrai, dis-je, que je m’en retournerai dans ma belle patrie, maudit par les soldats que j’avais levés dans l’espoir d’une grosse solde, maudit du brave Planchet, à qui j’ai emprunté une partie de sa fortune.


— Mordioux ! il y a là cent mille livres à vous, monsieur mon associé.

— Comment cela ? et que diable vient faire Planchet dans tout ceci ?

— Eh ! oui, mon cher : ce roi si pimpant, si souriant, si adoré, M. Monck se figure l’avoir rappelé, vous vous figurez l’avoir soutenu, je me figure l’avoir ramené, le peuple se figure l’avoir reconquis, lui-même se figure avoir négocié de façon à être restauré, et rien de tout cela n’est vrai, cependant : Charles II, roi d’Angleterre, d’Écosse et d’Irlande, a été remis sur son trône par un épicier de France qui demeure rue des Lombards et qu’on appelle Planchet. Ce que c’est que la grandeur ! « Vanité ! dit l’Écriture ; vanité ! tout est vanité ! »

Athos ne put s’empêcher de rire de la boutade de son ami.

— Cher d’Artagnan, dit-il en lui serrant affectueusement la main, ne seriez-vous plus philosophe ? N’est-ce plus pour vous une satisfaction que de m’avoir sauvé la vie comme vous le fîtes en arrivant si heureusement avec Monck, quand ces damnés parlementaires voulaient me brûler vif ?

— Voyons, voyons, dit d’Artagnan, vous l’aviez un peu méritée, cette brûlure, mon cher comte.

— Comment ! pour avoir sauvé le million du roi Charles ?

— Quel million ?

— Ah ! c’est vrai, vous n’avez jamais su cela, vous, mon ami ; mais il ne faut pas m’en vouloir,