Page:Dumas - Les Quarante-Cinq, 1888, tome 1.djvu/130

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L’esquisse rapide et bien incomplète que nous avons tracée du caractère de Joyeuse peut montrer au lecteur quelle différence il y avait entre les deux favoris qui se partageaient, nous ne dirons pas l’amitié, mais cette large portion d’influence que Henri laissait toujours prendre sur la France et sur lui-même à ceux qui l’entouraient. Joyeuse, tout naturellement et sans y réfléchir, avait suivi la trace et adopté la tradition des Quélus, des Schomberg, des Maugiron et des Saint-Mégrin : il aimait le roi et se laissait insoucieusement aimer par lui ; seulement, tous ces bruits étranges qui avaient couru sur la merveilleuse amitié que le roi portait aux prédécesseurs de Joyeuse, étaient morts avec cette amitié ; aucune tache infâme ne souillait cette affection presque paternelle de Henri pour Joyeuse. D’une famille de gens illustres et honnêtes, Joyeuse avait du moins en public le respect de la royauté, et sa familiarité ne dépassait jamais certaines bornes. Dans le milieu de la vie morale, Joyeuse était un ami véritable pour Henri ; mais ce milieu ne se présentait guère. Anne était jeune, emporté, amoureux, et quand il était amoureux, égoïste ; c’était peu pour lui d’être heureux par le roi et de faire remonter le bonheur vers sa source ; c’était tout pour lui d’être heureux de quelque façon qu’il le fût. Brave, beau, riche, il brillait de ce triple reflet qui fait aux jeunes fronts une auréole d’amour. La nature avait trop fait pour Joyeuse, et Henri maudissait quelquefois la nature, qui lui avait laissé, à lui roi, si peu de chose à faire pour son ami.

Henri connaissait bien ces deux hommes, et les aimait sans doute à cause du contraste. Sous son enveloppe sceptique et superstitieuse, Henri cachait un fonds de philosophie qui, sans Catherine, se fût développé dans un sens d’utilité remarquable.

Trahi souvent, Henri ne fut jamais trompé.

C’est donc avec cette parfaite intelligence du caractère de ses amis, avec cette profonde connaissance de leurs défauts