Page:Dumas - Les Quarante-Cinq, 1888, tome 1.djvu/136

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Il paraît, sire, que Votre Majesté est en mémoire, aujourd’hui ; mais, en vérité, ce n’est pas heureux pour tout le monde.

— Et pourquoi cela ?

— C’est que Votre Majesté, sans y songer peut-être, me compare à messire Chicot, et que je me sens assez peu flatté de la comparaison.

— Tu as tort, d’Épernon. Je ne puis comparer à Chicot qu’un homme que j’aime et qui m’aime. C’était un solide et ingénieux serviteur que celui-là.

Et Henri poussa un profond soupir.

— Ce n’est pas pour ressembler à maître Chicot, je présume, que Votre Majesté m’ait fait duc et pair, dit d’Épernon.

— Allons, ne récriminons pas, dit le roi avec un si malicieux sourire, que le Gascon, si fin et si impudent qu’il fût à la fois, se trouva plus mal à l’aise devant ce sarcasme timide qu’il ne l’eût été devant un reproche flagrant.

— Chicot m’aimait, continua Henri, et il me manque ; voilà tout ce que je puis dire. Oh ! quand je songe qu’à cette même place où tu es ont passé tous ces jeunes hommes, beaux, braves et fidèles ; que là-bas, sur le fauteuil où tu as posé ton chapeau, Chicot s’est endormi plus de cent fois !

— Peut-être était-ce fort spirituel, interrompit d’Épernon ; mais, en tous cas, c’était peu respectueux.

— Hélas ! continua Henri, ce cher ami n’a pas plus d’esprit que de corps aujourd’hui.

Et il agita tristement son chapelet de têtes de morts, qui fit entendre un cliquetis lugubre comme s’il eût été fait d’ossements réels.

— Eh ! qu’est-il donc devenu, votre Chicot ? demanda insoucieusement d’Épernon.

— Il est mort ! répondit Henri, mort comme tout ce qui m’a aimé !