Page:Dumas - Les Quarante-Cinq, 1888, tome 1.djvu/138

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— L’homme était bon à tout, et ce n’est pas seulement à cause de son esprit que je le regrette.

— Et à cause de quoi ? Ce n’est point à cause de son visage, je présume, car il était fort laid, mons Chicot.

— Il avait des conseils sages.

— Allons ! je vois que s’il vivait, Votre Majesté en ferait un garde des sceaux, comme elle a fait un prieur de ce frocard.

— Allez, duc, ne riez pas, je vous prie, de ceux qui m’ont témoigné de l’affection et pour qui j’en ai eu moi-même. Chicot, depuis qu’il est mort, m’est sacré comme un ami sérieux, et quand je n’ai point envie de rire, j’entends que personne ne rie.

— Oh ! soit, sire ; je n’ai pas plus envie de rire que Votre Majesté. Ce que j’en disais, c’est que tout à l’heure vous regrettiez Chicot pour sa belle humeur ; c’est que tout à l’heure vous me demandiez de vous égayer, tandis que maintenant vous désirez que je vous attriste… Parfandious !… Oh ! pardon, sire, ce maudit juron m’échappe toujours.

— Bien, bien, maintenant je suis refroidi ; maintenant je suis au point où tu voulais me voir quand tu as commencé la conversation par de sinistres propos. Dis-moi donc tes mauvaises nouvelles, d’Épernon ; il y a toujours chez le roi la force d’un homme.

— Je n’en doute pas, sire.

— Et c’est heureux, car, mal gardé comme je le suis, si je ne me gardais point moi-même, je serais mort dix fois le jour.

— Ce qui ne déplairait pas à de certaines gens que je connais.

— Contre ceux-là, duc, j’ai les hallebardes de mes Suisses.

— C’est bien impuissant à atteindre de loin.

— Contre ceux qu’il faut atteindre de loin, j’ai les mousquets de mes arquebusiers.