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l’une des extrémités duquel se tenaient le roi et d’Épernon.

Une porte, percée dans chacune de ces alcôves, donnait accès dans une sorte de logement voisin.

Il résultait de cette distribution ingénieuse que chaque gentilhomme avait sa vie publique et sa vie murée.

Au public, il apparaissait par l’alcôve.

En famille, il se cachait dans sa petite loge.

La porte de chacune de ces petites loges donnait sur un balcon, courant dans toute la longueur du bâtiment.

Le roi ne comprit pas tout d’abord ces subtiles distinctions.

— Pourquoi me les faites-vous voir tous ainsi dormant dans leurs lits ? demanda le roi.

— Parce que, sire, j’ai pensé qu’ainsi l’inspection serait plus facile à faire pour Votre Majesté ; puis ces alcôves, qui portent chacune un numéro, ont un avantage, c’est de transmettre ce numéro à leur locataire : ainsi chacun de ces locataires sera, selon le besoin, un homme ou un chiffre.

— C’est assez bien imaginé, dit le roi, surtout si nous seuls conservons la clef de toute cette arithmétique. Mais les malheureux étoufferont à toujours vivre dans ce bouge ?

— Votre Majesté va faire un tour avec moi si elle le désire, et entrer dans les logements de chacun d’eux.

— Tudieu ! quel garde-meubles tu viens de me faire, d’Épernon ! dit le roi, jetant les yeux sur les chaises chargées de la défroque des dormeurs. Si j’y renferme les loques de ces gaillards-là, Paris rira beaucoup.

— Il est de fait, sire, répondit le duc, que mes quarante-cinq ne sont pas très-somptueusement vêtus ; mais, sires, s’ils eussent été tous ducs et pairs…

— Oui, je comprends, dit en souriant le roi, ils me coûteraient plus cher qu’ils ne vont me coûter.

— Eh bien ! c’est cela même, sire.

— Combien me coûteront-ils, voyons ? Cela me décidera