Page:Dumas - Les Quarante-Cinq, 1888, tome 1.djvu/180

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— Je dis : donne.

Et Chicot étendit la main.

— Ah ! ne te figure pas qu’une lettre comme celle-là peut être écrite tout de suite ; il faut qu’elle soit combinée, réfléchie, pesée.

— Eh bien ! pèse, réfléchis, combine. Je repasserai demain à la pointe du jour, ou je l’enverrai prendre.

— Pourquoi ne coucherais-tu pas ici ?

— Ici ?

— Oui, dans ton fauteuil.

— Peste ! C’est fini, je ne coucherai plus au Louvre ; un fantôme qu’on verrait dormir dans un fauteuil, quelle absurdité !

— Mais enfin, s’écria le roi, je veux cependant que tu connaisses mes intentions à l’égard de Margot et de son mari. Tu es Gascon ; ma lettre va faire du bruit à la cour de Navarre ; on te questionnera ; il faut que tu puisses répondre. Que diable ! tu me représentes ; je ne veux pas que tu aies l’air d’un sot.

— Mon Dieu ! fit Chicot en haussant les épaules, que tu as donc l’esprit obtus, grand roi ! Comment ! tu te figures que je vais porter une lettre à deux cent cinquante lieues sans savoir ce qu’il y a dedans ? Mais sois donc tranquille, ventre de biche ! au premier coin de rue, sous le premier arbre où je m’arrêterai, je vais l’ouvrir ta lettre. Comment ! tu envoies depuis dix ans des ambassadeurs dans toutes les parties du monde, et tu ne les connais pas mieux que cela ? Allons, mets-toi le corps et l’âme en repos, moi je retourne à ma solitude.

— Où est-elle, ta solitude ?

— Au cimetière des Grands-Innocents, grand prince.

Henri regarda Chicot avec cet étonnement qu’il n’avait pas encore pu, depuis deux heures qu’il l’avait revu, chasser de son regard.

— Tu ne t’attendais pas à cela, n’est-ce pas ? dit Chicot