Page:Dumas - Les Quarante-Cinq, 1888, tome 1.djvu/190

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sans danger et qui joue avec cette couronne qui brûle la pensée de tant de gens, en attendant qu’elle leur brûle les doigts.

Chicot poussa un soupir plus philosophique que triste, et appuya vigoureusement sur ses avirons.

— À propos, dit-il tout à coup, le roi ne m’a point parlé d’argent pour le voyage : cette confiance m’honore en ce qu’elle me prouve que je suis toujours son ami.

Et Chicot se mit à rire silencieusement, comme c’était son habitude ; puis, d’un dernier coup d’aviron, il lança son bateau sur le sable fin où il demeura engravé.

Alors, attachant la proue à un pieu par un nœud dont il avait le secret, et qui, dans ces temps d’innocence, nous parlons par comparaison, était une sûreté suffisante, il se dirigea vers sa demeure, située, comme on sait, à deux portées de fusil à peine du bord de la rivière.

En entrant dans la rue des Augustins, il fut fort frappé et surtout fort surpris d’entendre résonner des instruments et des voix qui remplissaient d’harmonie le quartier, si paisible d’ordinaire à ces heures avancées.

— On se marie donc par ici ? pensa-t-il tout d’abord ; ventre de biche ! je n’avais que cinq heures à dormir, et je vais être forcé de veiller, moi qui ne me marie pas.

En approchant, il vit une grande lueur danser sur les vitres des rares maisons qui peuplaient sa rue ; cette lueur était produite par une douzaine de flambeaux que portaient des pages et des valets de pied, tandis que vingt-quatre musiciens, sous les ordres d’un Italien énergumène, faisaient rage de leurs violes, psaltérions, cistres, rebecs, violons, trompettes et tambours.

Cette armée de tapageurs était placée en bel ordre devant une maison que Chicot, non sans surprise, reconnut être la sienne.

Le général invisible qui avait dirigé cette manœuvre avait disposé musiciens et pages de manière à ce que tous, le vi-