Page:Dumas - Les Quarante-Cinq, 1888, tome 1.djvu/66

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sième roi de France… tu sais que M. de Guise est le second, si toutefois ce n’est pas le premier… toi qui es riche, toi qui es beau, toi qui seras pair de France comme moi, et duc comme moi à la première occasion que j’en trouverai ; tu es amoureux, tu penses et tu soupires ; tu soupires, toi qui as pris pour devise : Hilariter (joyeusement) !

— Mon cher Anne, tous ces dons du passé ou toutes ces promesses de l’avenir n’ont jamais compté pour moi au rang des choses qui devaient faire mon bonheur. Je n’ai point d’ambition.

— C’est-à-dire que tu n’en as plus.

— Ou du moins que je ne poursuis pas les choses dont vous parlez.

— En ce moment peut-être ; mais plus tard tu y reviendras.

— Jamais, mon frère. Je ne désire rien. Je ne veux rien.

— Et tu as tort, mon frère. Quand on s’appelle Joyeuse, c’est-à-dire un des plus beaux noms de France ; quand on a son frère favori du roi, on désire tout, on veut tout, et l’on a tout.

Henri baissa mélancoliquement et secoua sa tête blonde.

— Voyons, dit Anne, nous voici bien seuls, bien perdus. Le diable m’emporte ! nous avons passé l’eau, si bien que nous voilà sur le pont de La Tournelle, et cela, sans nous en être aperçus. Je ne crois pas que sur cette grève isolée, par cette bise froide, près de cette eau verte, personne vienne nous écouter. As-tu quelque chose de sérieux à me dire, Henri ?

— Rien, rien, sinon que je suis amoureux, et vous le savez déjà, mon frère, puisque tout à l’heure je vous l’ai avoué.

— Mais, que diable ! ce n’est point sérieux, cela, dit Anne en frappant du pied. Moi aussi, par le pape ! je suis amoureux.

— Pas comme moi, mon frère.