Page:Dumas - Mes mémoires, tome 6.djvu/109

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
106
MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Pendant ce temps, le tambour battait dans le jardin des Tuileries. Trois soldats de la garde royale apparurent en haut de la rue du Bac, du côté de la rue Saint-Thomas-d’Aquin.

— Tenez, dis-je à ceux qui m’entouraient, vous demandez des armes ? on ne peut être servi plus à point ; voilà trois fusils qui vous arrivent ; seulement, il faut les prendre…

— Oh ! si ce n’est que cela ! dirent-ils.

Et ils se précipitèrent vers les soldats.

Ceux-ci s’arrêtèrent.

J’étais seul armé.

— Mes amis, criai-je aux soldats, donnez vos fusils, et il ne vous sera fait aucun mal.

Ils se consultèrent un instant, puis donnèrent leurs fusils.

Je les tenais en joue, prêt à tuer le premier qui eût fait une démonstration hostile.

On prit les fusils ; ils n’étaient point chargés : de là était venue, sans doute, la facilité des pauvres diables à les rendre.

On poussa de grands cris de triomphe ; le combat commençait par une victoire : un gendarme tué, trois gardes royaux prisonniers. Il est vrai que, ne sachant que faire de nos trois prisonniers, nous leur rendîmes la liberté à l’instant même.

Nous nous remîmes aux barricades.

Une petite troupe d’étudiants arrivait par le haut de la rue de l’Université à sa tête marchait un grand jeune homme blond, vêtu d’une redingote vert-pomme.

Le grand jeune homme blond seul avait un fusil de munition.

On fraternisa, et l’on se réunit pour travailler aux barricades. Le voisinage de la caserne des gardes du corps, qui était située quai d’Orsay, faisait craindre une attaque.

Il était impossible que la sentinelle n’eût pas entendu les deux coups de feu, n’eût pas vu fuir le gendarme, et n’eût pas donné l’alarme.

J’étais fatigué de retourner des pavés ; je cédai ma pince au grand jeune homme blond, il se mit à piquer les entre-deux à son tour ; mais la pince était lourde, elle lui échappa des mains, et vint me frapper à la jambe.