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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS


CXLVII


Aspect de la rue de Richelieu. — Charras. — L’École polytechnique. — La tête à perruque. — Le café de la porte Saint-Honoré. — Le drapeau tricolore. — Je deviens chef de bande. — Je suis consigné par mon propriétaire. — Un monsieur qui distribue de la poudre. — Le capitaine du 15e léger.

L’aspect de la rue de Richelieu était chose curieuse. À peine la troupe venait-elle de quitter la rue, et déjà l’insurrection y était rentrée flagrante, ou plutôt, sortant de toutes les portes des maisons, y régnait en souveraine.

Partout on effaçait les fleurs de lis, partout on grattait le chiffre du roi, partout on barbouillait les enseignes.

Au cri de « Vive la Charte ! » commençait à succéder le cri de « À bas les Bourbons ! »

Des hommes armés se montraient au coin des rues, ayant l’air de chercher un centre de résistance ou un champ de bataille.

De temps en temps, la porte d’une boutique s’ouvrait, et, par son entre-bâillement, laissait voir un garde national en uniforme, hésitant encore à sortir, mais n’attendant que le moment de se mêler à cet immense branle.

Aux fenêtres, des femmes secouaient leur mouchoir, et criaient bravo à tous les hommes apparaissant un fusil à la main.

Personne ne marchait du pas ordinaire ; tout le monde courait. Personne ne parlait comme on parle d’habitude ; on se jetait des paroles entrecoupées.

Une fièvre universelle semblait s’être emparée de la population ; c’était merveilleux à voir ! L’homme le plus froid, le plus insensible eût été forcé de partager ce frissonnement.

J’arrivai au National.

Sous la porte, je rencontrai Carrel causant avec Paulin.

— Ah ! m’écriai-je, vous voilà !… tant mieux ! On m’avait dit