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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

il semblait qu’il y eût un intérêt général à la réussite de quelques-uns. La cause que nous défendions était celle de tous les inconnus espérant se faire connaître ; de l’influence acquise par nous, ils prendraient une bonne part pour faire leur route plus sûre et meilleure. L’égoïsme les faisait dévoués.

La répétition générale de Christine eut donc un succès d’enthousiasme.

Après le cinquième acte, je sortis de l’orchestre, et j’allai donner droit dans Soulié.

Soulié était fort ému ; il me tendit les bras.

Je l’embrassai avec une effusion profonde : il m’en coûtait d’être en froid avec un homme que j’aimais et dont plus que les autres — parce que mieux que les autres je m’en rendais compte — j’admirais le talent.

— Allons, me dit-il, décidément tu as eu raison de faire ta Christine seul. C’est une admirable chose dont certaines parties pèchent par l’exécution seulement ; mais l’exécution s’apprend… Tu tiendras un jour tout le théâtre ; et, alors, nous serons, nous autres, tes humbles serviteurs.

— Allons, lui répondis-je, cher ami, tu es fou !

— Non pas, je parle comme je pense, sur l’honneur. Te dire que cela me fait un énorme plaisir, ce serait aller trop loin, tu ne me croirais pas ; mais, enfin, c’est ainsi.

Je le remerciai.

— Voyons, me dit-il, causons sérieusement. Je sais qu’il y a une cabale organisée contre ta pièce, et qu’on doit, demain soir, te secouer d’importance.

— Ah ! je m’en doutais bien.

— Te reste-t-il cinquante parterres ?

— Oui.

— Donne-les-moi ; je viendrai avec tous mes ouvriers de la scierie mécanique, et nous te soutiendrons cela, sois tranquille !

Je lui donnai, sans compter, un paquet de billets ; puis, comme on m’attendait sur la scène, je l’embrassai de nouveau, et nous nous quittâmes.

Je crois qu’il y avait quelque chose de cette fraternité et de