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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

En ce moment, toutes les personnes venues à bord soit pour affaires de commerce, soit pour affaires de cœur, firent leurs adieux, descendirent dans les barques, et s’éloignèrent du bâtiment.

L’ancre fut tirée hors de l’eau, puis caponnée, et la Pauline commença d’obéir au double mouvement du courant et de la brise.

Ce mouvement, tout insensible qu’il était, fut un nouveau sujet de douleur pour la jeune femme.

J’allai au capitaine.

— Capitaine, lui dis-je, je crois que vous feriez un grand plaisir à vos passagers… à deux, du moins… en ordonnant qu’on serve le déjeuner sur le pont.

— Pourquoi cela ?

— Parce que voici là-bas une jeune femme qui désire prendre tout ce qu’elle pourra de la France avant de la quitter, et que, pendant tout le temps qu’elle sera dans l’entre-pont, elle ne verra pas la France.

— Rien n’est plus facile, dit le capitaine, je n’ai que cinq passagers à ma table.

— Alors, c’est dit ?

— C’est dit.

Nous étions à la hauteur de Saint-Nazaire, qui s’élève tristement au milieu des sables et des bruyères sans un arbre où puisse se reposer la vue. Et, cependant, la jeune femme embrassait des yeux l’aride paysage avec autant d’avidité que si ses regards eussent flotté sur une prairie suisse ou un lac écossais.

— Madame, lui dis-je, je vous préviens de la part du capitaine, que nous allons déjeuner.

— Oh ! moi, dit-elle, je ne mangerai pas.

— Laissez-moi vous dire que je suis sûr du contraire, madame…

Elle secoua la tête.

— Attendu, continuai-je, que nous déjeunons, non pas dans l’entre-pont, mais sur le pont.

— C’est vous qui avez demandé cela au capitaine ! s’écria-