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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

— Carguez la grande voile ! reprit le capitaine, les voiles du grand mât sur le mât !

Le navire s’arrêta, ou à peu près. Le pilote était déjà dans son canot.

Je m’approchai de la pauvre exilée ; ses larmes coulaient silencieusement le long de ses joues.

— Vous vous acquitterez de ma commission, n’est-ce pas, monsieur ? me dit-elle d’une voix entrecoupée.

Je la saluai en signe d’adhésion.

— Vous embrasserez ma mère pour moi, n’est-ce pas ?

— Je vous le promets, madame.

— Mais, dit le mari, si tu veux que monsieur embrasse ta mère pour toi, il faut d’abord que tu l’embrasses lui-même.

— Oh ! oui, s’écria la jeune femme avec effusion, je ne demande pas mieux.

Et elle me jeta ses bras autour du cou.

Chose étrange ! cette femme et moi ne nous étions jamais vus la veille au soir ; le matin, nous étions encore des étrangers l’un pour l’autre ; au moment du départ, nous étions des connaissances ; le déjeuner nous avait faits amis ; la séparation nous faisait presque frère et sœur. Ô mystères du cœur, incompris de la foule, et qui font de ceux à qui Dieu les a révélés des êtres privilégiés pour la souffrance. J’avais plus de peine à quitter ces amis d’un jour que je ne me promettais de plaisir à revoir des amis de vingt ans !

— Vous vous rappellerez mon nom, n’est-ce pas, monsieur ? me dit la jeune femme.

— Tâchez de lire les prochains livres que je ferai, madame, et je vous promets que vous retrouverez ce nom dans un de mes premiers romans.

Il y avait bien aussi peut-être, au fond de cette attraction du bord, la préoccupation de la descente tant soit peu périlleuse à laquelle j’allais être obligé de me livrer…

Heureusement, j’avais bon nombre de spectateurs de mes manœuvres gymnastiques, et l’on sait combien, en pareil cas, double le courage l’idée que l’on vous regarde.

Je m’avançai donc bravement vers la muraille ; je m’accro-