Page:Dumas - Mes mémoires, tome 7.djvu/123

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
120
MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Au bout de cinq minutes, comme je me sentais toujours dans la barque, je les rouvris. Nous n’étions ni mieux ni plus mal, et rien n’était changé, si ce n’est qu’on entendait le bruit du ressac contre la côte ; il était évident que nous n’en étions plus éloignés que d’une ou deux encablures. Le pilote se tenait au gouvernail, et, poussé par le flux, laissait toute la besogne à la mer ; son seul travail — et ce travail ne me paraissait pas facile — était de se diriger à travers les rochers.

Tout à coup il se leva en me criant :

— Tenez-vous bien.

La recommandation était plus qu’inutile : je serrais la banquette à y laisser l’empreinte de mes doigts.

J’éprouvai un choc violent, comme si le fond de la barque eût ratissé un lit de galets.

Le pilote passa rapidement au-dessus de moi, et sauta dans la mer.

Je ne comprenais rien à cette évolution, lorsqu’on me soulevant je l’aperçus, dans l’eau jusqu’à la poitrine, tirant la barque à lui avec une corde.

À quinze pas de nous était la falaise. J’eus grande envie de sauter à côté de mon homme ; mais, comprenant mon intention :

— Non, non, dit-il, tenez-vous tranquille… Nous sommes arrivés.

En effet, la première vague poussa la barque si près du rivage, qu’elle s’y engrava.

— Maintenant, me dit le pilote en s’approchant de moi, montez sur mon dos.

— Pour quoi faire ?

— Pour ne pas vous mouiller.

La précaution était bonne, mais venait un peu tard : j’étais trempé comme une éponge.

— Merci de votre obligeance, lui dis-je, mais ce n’est pas la peine.

Et je sautai dans la mer.

En ce moment arriva une vague qui me passa par-dessus la tête.