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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

commençant ce chapitre, que notre intention était de le faire, et gardons-nous surtout de rendre responsable de cette fortune qui lui a été léguée, le jeune et noble héros de la smala.

Hélas ! tant de calomnies, tant d’indifférence, tant d’oubli, suivent les exilés, qu’il faut bien que, de temps en temps, quelques voix rappellent au pays qui les a nommés ses enfants bien-aimés, qu’ils n’étaient pas indignes de cet amour !

Un officier ne m’a-t-il pas répondu un jour, — il est vrai que cet officier avait reçu ses premières épaulettes du duc d’Aumale, — un officier ne m’a-t-il pas répondu, à moi qui vantais en sa présence la bravoure de ce pauvre banni :

— Brave ?… Parbleu ! brave comme tout le monde !

Brave comme tout le monde ! quand j’ai entendu dire à Yousouf, — on ne contestera pas la bravoure de celui-là, j’espère ! — quand j’ai entendu dire à Yousouf, qui est prêt à le répéter, j’en suis sûr :

— Lorsque nous nous sommes trouvés, avec nos deux cent cinquante hommes, en face des quarante mille âmes dont se composait la smala ; que j’ai demandé au prince : « Monseigneur, que faut-il faire ? » et qu’il m’a répondu : « Entrer là dedans, pardieu ! » lorsqu’il m’a répondu cela, médisait Yousouf, j’ai cru avoir mal entendu ; je l’ai fait répéter, et, lorsqu’il eut répété : « Entrer là dedans, vous dis-je ! » le frisson m’a pris ; j’ai mis le sabre à la main, parce que je suis un soldat, mais je me suis dit à moi-même : « C’est fini ! nous sommes tous flambés ! »

Brave comme tout le monde ! quand Charras, — on n’accusera pas celui-là d’être orléaniste ; on ne l’accusera pas non plus d’avoir peur : c’est un de ces rares tempéraments qui aiment le danger pour le danger, un soldat de nuit, comme les appellent les connaisseurs ; — quand Charras me disait, en parlant de cette même prise de la smala :

— Pour entrer, comme l’a fait le duc d’Aumale, avec deux cent cinquante hommes au milieu d’une pareille population, il fallait avoir vingt-deux ans, ne pas savoir ce que c’est que le danger, ou bien avoir le diable dans le ventre ! Les femmes seules n’avaient qu’à tendre les cordes des tentes sur