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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

aucun soupçon, et la berline repartit avec des chevaux frais en brûlant le pavé.

La même manœuvre se renouvela à peu près à tous les relais.

Lorsque Thomas racontait ces faits, c’était toujours avec une certaine mélancolie. Il n’oubliait pas qu’au bout du voyage était la prison, peut-être même la mort pour son compagnon de berline, lui qui, aussi, devait plus d’une fois affronter, devant un tribunal, la mort ou la prison.

Le 28 août, les trois prisonniers de Tours et le prisonnier de Saint-Lô étaient arrivés presque en même temps à Paris.

Tous quatre avaient été enfermés dans cette partie du château de Vincennes qu’on nomme le pavillon de la Reine.

Trois d’entre eux étaient des hommes nouveaux. En effet, la veille du jour où vint luire sur eux la fatale illustration du malheur, à peine étaient-ils connus.

Ce qui leur avait donné de la popularité ou plutôt de l’impopularité, c’étaient les vers imprimés à cent mille exemplaires de Barthélemy et Méry, et les traditions orales débitées sur l’un d’eux particulièrement, M. de Peyronnet, par l’illustre Chodruc-Duclos.

Nous aurons occasion de parler plus tard de ce moderne Diogène (il est bien entendu que c’est à Chodruc-Duclos et non à M. de Peyronnet que nous faisons allusion) ; nous parlerons, disons-nous, de ce moderne Diogène, lequel a ébouriffé, pendant sept ou huit ans, les galeries du Palais-Royal, en y promenant, à toute heure du jour, sa redingote déloquetée, son pantalon cynique, son gilet attaché avec des ficelles, ses bottes en espardilles, son chapeau défoncé, et l’épaisse végétation qui, couvrant le bas de son visage, lui avait fait donner le nom de l’homme à la longue barbe.

Donc, avons-nous dit, à part les vers de Barthélemy et Méry et les légendes bordelaises de Chodruc-Duclos, MM. de Chantelauze, de Guernon-Ranville et de Peyronnet étaient des hommes à peu près inconnus.

La différence était grande avec M. de Polignac : outre la prétention de sa famille de descendre du même tronc que