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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

— Eh bien, moi, monsieur Dumas, je suis d’un autre avis que vous. Je crois qu’il n’y a plus de Vendéens. Dites-moi où sont les d’Elbée, les Bonchamp, les Lescure, les la Rochejaquelein, les Charette ?

— Sire, où ils étaient en 1789… Pourtant, la Vendée ne me paraît pas à craindre pour demain ou après-demain ; non, je dirai mieux : la Vendée ne se soulèvera plus d’elle-même ; mais quelqu’un peut se jeter dans la Vendée et la soulever.

— Qui ? Ce n’est pas le dauphin, il n’a pas assez d’énergie pour cela ; ce n’est pas le duc de Bordeaux, il est trop jeune ; ce n’est pas Charles X, la place du roi ne saurait être à la tête de quelques bandes de rebelles.

— Le roi sait trop bien son histoire universelle pour ne pas connaître l’histoire de Hongrie : Moriamur pro nostro rege Maria-Theresa !

— La duchesse de Berry ?

— On en parle beaucoup.

— Vous avez raison, j’y ai pensé plus d’une fois aussi ; mais retenez bien ce que je vous dis, monsieur Dumas, il n’y a pas de Vendée sans l’Angleterre, et je suis sûr de l’Angleterre.

— Je ne dis point au roi qu’il y aura une Vendée terrible, implacable, acharnée comme celle de 92 et de 93 ; je ne dis pas qu’il y aura des armées de vingt, de trente, de quarante mille hommes comme alors ; je ne dis pas qu’il y aura des batailles désastreuses, fatales, mortelles comme celles des Ponts-de-Cé, de Torfou et d’Antrain ; je ne dis pas, enfin, que le soulèvement de l’Ouest sera appuyé par le soulèvement du Midi et par l’invasion étrangère ; je dis qu’il y a chance, probabilité, certitude que l’on se battra, que des hommes seront tués, que des haines nouvelles naîtront d’un sang nouveau, et que le roi est trop ménager du sang français pour ne pas s’opposer, autant qu’il sera dans ses moyens, à un pareil résultat.

Le roi sourit.

— Et moi, je vous dis, monsieur Dumas, que j’ai mis aussi le doigt sur le pouls de la Vendée… Je suis un peu médecin, comme vous savez.

Je m’inclinai.