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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Au fur et à mesure que les tableaux étaient faits, je les passais à Georges, qui les passait à Harel, lequel les donnait à copier à un charmant garçon nommé Verteuil, qui est aujourd’hui secrétaire du Théâtre-Français.

Au bout de huit jours, le drame était fait ; il se composait de vingt-quatre tableaux, et comportait neuf mille lignes. C’était trois fois la corpulence d’un drame ordinaire ; cinq fois la longueur d’Iphigénie, six fois celle de Mérope.

Frédérick devait jouer le rôle de Napoléon. J’avais discuté ce choix d’abord ; le physique me semblait beaucoup dans une pareille création. Le succès du Napoléon de la Porte-Saint-Martin avait été dû surtout à la ressemblance de Gobert avec l’empereur ; et rien ne ressemblait moins à Napoléon, et surtout à Bonaparte, que Frédérick.

— Mon cher, me dit Georges, rappelez-vous ceci : c’est qu’un homme du talent de Frédérick peut tout jouer.

La raison me parut si bonne, que je m’y rendis. Le rôle fut donné à Frédérick.

Le neuvième jour, la pièce était copiée ; Verteuil, en se faisant aider de deux personnes, avait mis à la copier un jour de plus que moi à l’écrire.

Elle n’était pas bonne, il s’en faut ; mais le titre de l’ouvrage assurait le succès de circonstance, tandis que le rôle de l’espion suffisait au succès littéraire.

On se réunit le neuvième jour pour la lecture. Ce jour-là, je lus jusqu’à Moscou ; le lendemain, je repris et lus la fin.

Le seul rôle de Frédérick avait quatre mille lignes, c’est-à-dire était aussi long à lui seul que tous les rôles ensemble du Mariage de Figaro.

Mais de rien couper, en collationnant, cela paraissait impossible ; il fut convenu, en conséquence, qu’on ferait les coupures aux répétitions.

Chacun se mit au travail avec une ardeur que j’ai rarement vue, apprenant même les passages que l’on supposait devoir être coupés, ce qui est la chose la plus difficile à obtenir d’un artiste.