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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

— Ma chère Marie, lui dis-je, tu es à la fois l’esprit le plus élevé et le meilleur cœur que je connaisse. Touche là, je ne suis plus que ton ami.

— Ah ! entendons-nous, je ne dis pas que cela durera toujours.

— Cela durera, du moins, tant que tu ne me rendras pas la parole que je te donne.

— C’est dit. Si, un jour, cela m’ennuie, je, t’écrirai.

— À moi ?

— À toi.

— Avant tout autre ?

— Avant tout autre, tu sais bien comme je t’aime, mon bon chien… Ah ! nous allons donc lire cela ; on dit que c’est superbe. Pourquoi donc cette mijaurée de mademoiselle Mars n’a-t-elle pas joué le rôle ?

— Ah ! parce qu’elle avait fait faire pour quinze cents francs de robes, et que le lustre n’éclairait pas assez.

— Tu sais que je n’en ferai pas faire pour quinze cents francs, de robes, moi ; mais sois tranquille, on trouvera moyen de s’attifer ! C’est donc une femme du monde, hein ? Quel bonheur de jouer une femme du monde, mais une vraie, comme tu dois savoir les faire ! moi qui n’ai jamais joué que des poissardes… Allons, vite, mets-toi là, et lis.

Je commençai à lire, mais, elle n’eut pas la patience de rester sur sa chaise ; elle se leva, et vint s’appuyer sur mon dos, lisant en même temps que moi par-dessus mon épaule.

Après le premier acte, je relevai la tête : elle m’embrassa au front.

— Eh bien ? lui demandai-je.

— Eh bien, mais il me semble que cela s’engrène drôlement ! Ils vont aller loin, s’ils marchent toujours du même pas.

— Attends, et tu vas voir.

Je commençai le second acte.

À mesure que j’avançais dans ma lecture, je sentais la poitrine de l’admirable actrice palpiter contre mon épaule ; à la scène entre Adèle et Antony, une larme tomba sur mon manuscrit, puis une seconde, puis une troisième.