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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

ceau de Jupiter. Pendant cette période, la seule chose que craigne la masse qui, vivant de cette réaction, a tout intérêt à la soutenir, c’est que le jour ne se fasse sur ce pandémonium, c’est que la lumière ne pénètre dans cette sentine où se heurtent, se pressent, se bousculent, avec un bruit d’argent qui dénonce l’œuvre qu’ils y opèrent, les agioteurs, les gens de bourse, les tripoteurs d’écus et de papiers.

Cette période est plus ou moins longue, et, nous le répétons, tant qu’elle dure, tant que l’élément honnête, pur, élevé de la nation n’a pas repris le dessus, il n’y a rien à dire, rien à faire, rien à espérer ; tout est applaudi, tout est ratifié, tout est glorifié d’avance ! On dirait que cette grande âme populaire qui, de temps en temps, vient ranimer les peuples et leur faire tenter de grandes choses, s’est évanouie, est remontée au ciel, est allée enfin on ne sait où. Les esprits inférieurs désespèrent de la voir revenir jamais ; les esprits supérieurs seuls, qui participent à son essence, savent qu’elle vit toujours, ayant en eux une étincelle de cette âme divine que l’on croit éteinte, et ils attendent, le sourire sur les lèvres, la sérénité sur le front !

Alors, peu à peu, ils assistent à ce phénomène politique.

Sans cause apparente, sans qu’il s’écarte de la route qu’il a suivie, et peut-être par cela même qu’il continue de la suivre, ce gouvernement, qui ne peut pas perdre la considération qu’il n’a jamais eue, perd la popularité factice qu’il avait ; ceux-là mêmes dont il a fait la fortune, dont il a récompensé la coopération, s’éloignent de lui peu à peu, et, sans le renier encore tout à fait, commencent déjà à douter de sa stabilité. À partir de cette heure, ce gouvernement est condamné ; de même qu’on approuvait ce qu’il faisait de mal, on critique ce qu’il fait de bien.

La corruption, qui est sa moelle, va du centre aux extrémités, sèche la sève fatale qui lui avait fait étendre sur tout un peuple des rameaux comme ceux de l’upas, une ombre pareille à celle du mancenillier ; dans cette atmosphère où, pendant cinq, dix, quinze, vingt ans, il a répandu cette impure émanation qu’on a respirée parmi les autres éléments