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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS


CLXXX


Mort de Benjamin Constant. — Quelle avait été sa vie. — Honneurs funèbres qu’on lui décerne. — Ses funérailles. — Loi relative aux récompenses nationales. — Procès des ministres. — Grouvelle et sa sœur. — M. Mérilhou et le néophyte. — Le colonel Lavocat. — La cour des pairs. — Panique. — Fieschi.

Le mois de décembre 1830 fut fécond en événements.

Un des plus graves fut la mort de Benjamin Constant.

Le 10, nous reçûmes l’ordre de nous trouver, le 12, en uniforme et en armes, au convoi de l’illustre député. Il était mort, le 8, à sept heures du soir.

Cette mort produisit une grande sensation dans Paris.

C’était une étrange popularité que celle de Benjamin Constant, et il eût été difficile de dire sur quoi elle reposait.

Suisse et protestant, élevé en Angleterre et en Allemagne, il parlait et écrivait la langue anglaise, la langue allemande et la langue française avec une égale facilité ; cependant, ce fut en français qu’il composa et qu’il écrivit.

Jeune, beau, vigoureux de corps, mais faible de caractère, du moment où il était arrivé en France, en 1795, Benjamin Constant n’avait plus rien fait que sous l’inspiration des femmes ; en littérature, elles furent ses maîtres ; en politique, elles furent ses guides. Accaparé par trois de ses plus célèbres contemporaines, madame Tallien, madame de Beauharnais et madame de Staël, il releva constamment d’elles ; la dernière surtout eut une influence énorme sur sa vie. Adolphe, c’est lui ; l’héroïne d’Adolphe, c’est madame de Staël. Aussi la vie de Benjamin Constant fut-elle, non point la vie d’un homme, mais celle d’une femme, c’est-à-dire un composé de contradictions et de faiblesses. Porté au tribunat après le renversement du Directoire, il fit de l’opposition à Bonaparte, premier consul, non pas, comme l’ont dit les historiens, parce qu’il ne croyait point à la durée de la fortune de Napoléon, mais parce