Page:Dumas - Mes mémoires, tome 7.djvu/239

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
236
MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

hommes, enfin, qu’on apercevait toujours à la lueur de la première amorce tirée.

Alors, il s’agit d’aller porter la charbonnerie au cordon sanitaire qui enveloppait l’Espagne, et d’établir des relations entre les patriotes de l’armée et ceux qui étaient réfugiés dans la Péninsule.

On jeta les yeux sur Étienne Arago, et, comme il fallait de l’argent pour faire le voyage, on alla chez Mérilhou.

Mérilhou était, comme je l’ai dit, fin des chefs du carbonarisme ; il demeurait, alors, rue des Moulins.

Cavaignac et Grouvelle étaient les introducteurs d’Étienne.

Mérilhou regarda le néophyte, qui paraissait avoir à peine dix-huit ans.

— Vous êtes bien jeune, mon ami, lui dit le prudent avocat.

— C’est possible, monsieur, répondit Étienne ; mais, si jeune que je sois, j’ai déjà deux ans de charbonnerie.

— Savez-vous à quoi vous vous exposez en vous chargeant de cette mission de propagande ?

— Oui, parfaitement, je m’expose à l’échafaud.

Alors, le futur ministre de Louis-Philippe, le futur pair de France, le futur rapporteur du procès Barbés, lui posa la main sur l’épaule, et, théâtralement, à la manière des avocats :

— Macte animo, generose puer ! lui dit-il.

Et il lui remit l’argent demandé.

Nous retrouverons M. Mérilhou au procès de Barbés, et le macte animo ne sera pas perdu. Pour le moment, revenons au procès des ministres.

La Fayette s’était prononcé définitivement : il avait répondu à la haute cour de sa sécurité ; il avait répondu au roi de la tête des ministres, si les ministres étaient acquittés. Aussi se faisait-il, en faveur du vieux général, un revirement curieux : la peur faisait chanter à ses plus grands ennemis ses louanges sur tous les airs ; le roi et madame Adélaïde le comblaient de caresses ; il était devenu l’homme indispensable ; il n’y avait pas de monarchie possible sans son appui… Qu’Atlas manque un seul instant à l’Olympe nouveau, et l’Olympe est renversé !